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investir d’une sorte de veto, qu’ils pouvaient opposer à tout acte leur paraissant de nature à troubler les accords convenus, et plus particulièrement à toute dépense, à tout engagement nouveau qui en méconnaîtrait les dispositions préservatrices. Le pouvoir du khédive fut ainsi limité et soumis à une constante surveillance en tout ce qui concernait l’administration des finances.

Il aurait fallu à Ismaïl-Pacha une robuste vertu pour se résigner patiemment à une pareille restriction de son autorité absolue, et on sait qu’il n’était pas un vertueux. Sa volonté s’était librement exercée, jusque-là, au gré de tous ses caprices, et il lui en coûtait de s’incliner devant un obstacle humiliant ; il ne put supporter longtemps cette tutelle qu’il rencontrait toujours rigide, toujours éveillée. Cette situation, prétendit-il, nuisait à son prestige, et par conséquent au bon ordre et à la tranquillité publique. Il en appela à la bienveillante sollicitude de la France et de l’Angleterre, contestant l’efficacité des concessions qu’il avait trop légèrement faites, disait-il. Sollicitées par lui, les deux puissances intervinrent directement, et à titre officiel, dans l’examen des difficultés qu’il avait signalées à leur attention. A sa demande, on procéda à une nouvelle enquête, dont le résultat démontra la nécessité de maintenir le nouvel état de choses que l’on consacra par la loi dite de liquidation, c’est-à-dire par un règlement conventionnel de toutes les questions, par une sorte de pacte conclu entre le gouvernement égyptien d’une part, et la France et l’Angleterre de l’autre. Déçu dans ses calculs, le khédive changea de voie et se retourna : aux concessions qu’il avait faites, il voulut en ajouter de nouvelles ; il toucha au principe même de son pouvoir ; il constitua un ministère solidaire et responsable, y appelant les deux contrôleurs, l’un, M. de Blignières, aux travaux publics, l’autre, M. Rivers-Wilson, aux finances. Désirant apparaître comme l’unique et le véritable initiateur de cette réforme, il adressa au chef du nouveau cabinet un rescrit, et il lui disait : « Je veux vous confirmer ma ferme détermination de mettre les règles de notre administration en harmonie avec les principes qui régissent les administrations en Europe… En un mot je veux dorénavant gouverner avec et par mon conseil des ministres… Le conseil discutera toutes les questions importantes du pays, l’opinion de la majorité entraînera celle de la minorité ; les décisions seront donc prises à la majorité, et en les approuvant, je sanctionnerai l’opinion qui aura prévalu. » Il n’était pas sincère. Il pensait, avec raison, qu’en inaugurant des changemens de cette nature dans un pays d’absolutisme traditionnel, avec un peuple aveuglément attaché à l’islamisme et ne reconnaissant d’autre autorité que la volonté du maître, qu’en confiant l’exécution de ces mesures à un premier ministre, chrétien