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payait à Paris. A vrai dire, il n’avait à compter ni avec les mêmes difficultés parlementaires, ni avec les légitimes préoccupations que l’état de l’Europe continentale inspirait à la France, mais considérant que cette situation entraverait pendant longtemps les mouvemens de notre politique, il renonça définitivement, après la courte tentative à laquelle avait mis fin la chute du grand ministère, à tout projet de rechercher, exclusivement avec nous, la solution de la question égyptienne. Le 3 février, avons-nous dit, M. de Freycinet lui rendait sa liberté ; dès le 6, lord Granville en usait pour lui proposer d’entrer en communication avec toutes les grandes puissances, démarche qui avait, en somme, pour objet, de substituer le concert européen à l’entente séparée de la France et de l’Angleterre. Ne voulant, ne pouvant revenir à la politique de Gambetta, notre ministre des affaires étrangères dut agréer l’ouverture du principal secrétaire d’État, mais il prit soin de la réduire à une sorte de consultation dilatoire, se confiant à son habileté et à l’imprévu pour sortir de ces difficultés sans s’écarter de la voie qu’il s’était tracée. On se livra donc à « un échange d’idées, » et on s’y employait encore quand, soudain, les ministres du khédive manifestèrent l’intention de le déposer. Une si grave éventualité menaçait l’ordre politique ; elle n’était pas moins alarmante pour la colonie européenne ; elle témoignait en outre de l’imprévoyance des deux puissances occidentales et elle engageait leur responsabilité. L’occasion parut propice à M. de Freycinet pour s’interposer de concert avec l’Angleterre, et lier avec le cabinet de Londres une partie nouvelle qui, dans ses prévisions, pouvait tout résoudre. C’est alors qu’il proposa au gouvernement de la reine d’envoyer à Alexandrie des forces navales suffisantes pour défendre, à la fois, l’autorité de Tewfik-Pacha et la sécurité des étrangers ; il croyait que l’apparition des deux pavillons réunis dénouerait toutes les difficultés. On se mit promptement d’accord pour procédera cette démonstration. Mais, à Paris comme à Londres, on entendait rester dans les limites du programme du 3 février et s’abstenir de toute mesure effective ou violente ; on stipula donc que dans aucun cas on ne débarquerait des troupes anglaises ou françaises et qu’on ferait appel à celles du sultan s’il devenait impérieusement nécessaire de recourir à l’emploi de la force. C’était lever la main en s’interdisant de frapper, quoi qu’il pût arriver. Cette politique d’abstention armée, substituée à la politique d’intervention active, eut les résultats que nous avons racontés. Le khédive devint le prisonnier d’Arabi-Pacha et la colonie européenne d’Alexandrie dut se disperser en présence des vaisseaux de la France et de l’Angleterre. Une aussi étrange incohérence dans les résolutions devait fatalement aboutir à de si douloureux mécomptes.