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plupart Français, que Méhémet-Ali avait appelés en Égypte et auxquels il avait confié la direction de services fort importans, surtout dans l’enseignement public. Notre représentant dut prendre la défense des droits acquis, dignes d’une protection efficace ; il s’y employa avec énergie. Devant cette attitude, soutenue par l’approbation de tous les résidons européens, Abbas-Pacha, caractère pusillanime, revint sur sa détermination. Un seul Français, un Gaulois de Marseille, plein de verve, qui n’avait jamais ménagé les faiblesses du prince, qui les avait quelquefois dénoncées à son grand-père, Clot-Bey, chef de l’administration sanitaire, jugea prudent de se retirer : il demanda lui-même sa retraite ; elle lui fut accordée avec la jouissance de l’intégralité de son traitement d’activité, réversible sur ses enfans jusqu’à la majorité du dernier né. Nous citons cet incident parce qu’il donne la mesure de la valeur intellectuelle et morale de l’homme auquel était échu le gouvernement de l’Égypte. Il ne le garda pas longtemps. A son avènement et afin d’être mieux isolé, il avait fait élever, dans le désert, à proximité du Caire, un palais doublé d’une caserne ; il s’y renferma, et dès la seconde année de son règne, il y périssait dans une aventure de sérail dont les détails ne sauraient trouver ici leur place.

Saïd-Pacha, fils de Méhémet-Ali, prit le pouvoir à la mort d’Abbas-Pacha. Doué des plus heureuses facultés, il avait reçu une éducation solide, et son esprit était ouvert aux notions les plus variées. Il était malheureusement bien moins doué sous le rapport du caractère. D’une timidité invincible et incurable, il voyait partout des périls imaginaires ; il en vint à ne jamais se déplacer sans une escorte nombreuse composée de toutes armes. Incapable de dominer les hommes, il les méprisait en les comblant de ses faveurs. Il fut ainsi accessible à des personnages qui devinrent de perfides conseillers et abusèrent de sa confiance. Sur cette pente, il fut bientôt un prince prodigue et obéré. On lui suggéra d’émettre des bons du trésor, qui se négociaient à des taux usuraires. Les premiers désordres qui ont, depuis, si profondément troublé les finances de l’Égypte, ce qu’il nous importe de retenir, datent de cette époque. Son nom restera cependant attaché à la plus belle œuvre de notre siècle. C’est lui, en effet, qui a concédé à M. de Lesseps le canal de Suez. Sous l’ardente parole du promoteur de l’entreprise, il en comprit toute la grandeur ; il s’en éprit passionnément. Il eut, par momens, de vives inquiétudes et des hésitations, mais l’infatigable initiateur le relevait de ces défaillances en lui communiquant sa foi persévérante. Ainsi soutenu sans cesse, et sans cesse rassuré par une active vigilance, ce prince irrésolu et faible résista aux remontrances du cabinet britannique et aux