Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux cabinets ? Elle témoignait des obstacles sans cesse renaissans que rencontrait l’accord de la France et de l’Angleterre dans une affaire où de précieux et d’importans intérêts leur commandaient de s’entendre, et cet échec ne déplaisait nulle part.

La satisfaction qu’on en éprouva lut surtout vive et intense à Constantinople, bien que mélangée d’un regret, celui qu’avait la Porte de ne pas se trouver autorisée à rétablir l’ordre en Égypte par ses propres moyens exclusivement et sans subir le contrôle de l’Europe. Le divan n’a jamais su renoncer franchement à des velléités de restauration que les événemens ont constamment déjouées. A l’origine de la crise, il s’imagina que la fortune, si obstinément hostile, lui souriait enfin. Nous dirions volontiers, si ce néologisme nous était permis, que la Turquie est un État protestataire ; elle proteste, en toute occasion, avec une ferveur digne d’un meilleur sort. Elle protesta, sous forme de représentations, à Londres et à Paris, sous forme de circulaire, auprès des autres grandes puissances, quand l’Angleterre et la France firent remettre au khédive la note du 7 janvier ; elle renouvela ses plaintes et ses réclamations, quand elles firent apparaître leur pavillon devant Alexandrie. Elle s’ingéniait, en même temps, à entraver les efforts qu’elles tentaient pour défendre l’autorité du vice-roi. Tour à tour, et suivant les besoins du moment, elle soutenait de ses encouragemens tantôt Tewfik-Pacha, tantôt les ministres égyptiens. « Il est indiscutable pour moi, écrivait M. Sienkiewicz, le 27 mai, au moment où les officiers manifestaient si bruyamment, qu’ils subissent l’influence de la Porte… Le double jeu de la Turquie est de toute évidence. » Elle suggéra au khédive de recourir à la puissance suzeraine et de solliciter le concours d’un envoyé extraordinaire qui la représenterait en Égypte. Tewfik-Pacha en fit l’aveu à notre consul général[1]. Cette mission fut confiée au maréchal Dervish-Pacha, et le succès en parut si certain au cabinet turc qu’il crut devoir décliner l’invitation de réunir la conférence, qu’on lui offrait cependant de convoquer à Constantinople. La Porte allait ainsi, en aveugle, au-devant d’une nouvelle mésaventure qui devait être suivie d’une sanglante catastrophe. Le maréchal turc débarqua à Alexandrie le 7 juin ; le lendemain, il faisait son entrée au Caire, au bruit du canon ; u sa suite se composait de cinquante-huit personnes, dont dix aides-de-camp et plusieurs janissaires[2]. » Ce nombreux état-major trahissait l’intention de la Porte de mettre les circonstances à profit pour substituer en Égypte son influence à celle des puissances occidentales. L’événement

  1. Dépêche télégraphique de M. Sienkiewicz du 28 mai.
  2. Dépêche de M. Sienkiewicz.