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internationaux du pays. » Le principal secrétaire d’État de la reine pensait qu’on n’était pas en présence d’un cas d’intervention ; « mais si cette éventualité, disait-il, venait à se produire, le désir du gouvernement de Sa Majesté britannique serait que l’intervention représentât l’action collective de l’Europe et il est d’avis que dès lors le sultan devrait être partie dans toute mesure en discussion[1]. »

L’ouverture du cabinet de Londres ne pouvait être déclinée à Paris ; en la repoussant, le cabinet français se serait exposé à se trouver isolé : il l’accueillit donc favorablement, et départ et d’autre on en saisit simultanément les autres puissances. Lord Granville touchait au but qu’il avait en vue : comme l’Angleterre, la France était désormais engagée à rechercher la solution de la question égyptienne à l’aide d’un accord européen concerté avec la cour suzeraine. A Vienne comme à Saint-Pétersbourg, à Berlin comme à Rome, on fit fête à la communication des deux cabinets. Mais M. de Bismarck, ne se payant pas de vaines paroles, comprit l’échange d’idées en ce sens « qu’il était convié à une délibération commune, » et à son avis, qu’il indiqua sans détours, a le moyen le plus simple de triompher des difficultés égyptiennes était de confiera la Turquie le soin de les apaiser. » Le chancelier n’ignorait pas que cet expédient répugnait au gouvernement de la république et que M. de Freycinet l’avait invariablement écarté dans ses entretiens avec lord Lyons. L’a-t-il proposé, dès la première heure, comme un moyen d’éloigner l’Angleterre de la France ? On en acquerrait la certitude sans en être surpris. Ce qui est certain, c’est que notre ministre des affaires étrangères s’empressa de faire remarquer à l’ambassadeur d’Allemagne, venu pour lui notifier l’adhésion de son gouvernement, « qu’il ne s’agissait point d’une conférence, mais de pourparlers dans chaque capitale. » Réduite à ces termes, la proposition de la France et de l’Angleterre perdait tout intérêt et ne pouvait avoir aucune suite ; on le comprit partout et on n’échangea que de vagues idées. Elle restait cependant une pierre d’attente sur laquelle, on n’en doutait ni à Londres ni à Berlin, on bâtirait tôt ou tard, dès que les événemens exigeraient une solution prompte et solide. Dans cette conviction, M. de Bismarck ne fit aucune difficulté pour reconnaître qu’il convenait de laisser « à l’initiative commune de la France et de l’Angleterre » le soin de rechercher les combinaisons propres à aplanir ces graves difficultés. Tout en désirant vivement l’intervention collective des puissances, lord Granville tenait à se montrer, à paraître surtout, dans un constant accord avec la France ; il continua donc

  1. Lord Granville à lord Lyons, 6 février 1882.