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protocole, étant de nature à offrir à l’Europe un gage de l’union des cinq puissances, le principal secrétaire d’État de Sa Majesté britannique, ayant le département des affaires étrangères, s’est chargé de porter cet objet à la connaissance du gouvernement français, en l’invitant à y participer. » Et la France put rentrer, sans préjudice pour sa dignité, dans le concert européen en apposant sa signature à la convention du 13 juillet 1841. Elle y était, en effet, conviée dans une forme à la fois courtoise et solennelle, pendant que Méhémet-Ali conservait l’Égypte pour lui et pour sa descendance en vertu d’un arrangement conclu avec l’assentiment de toutes les puissances et par conséquent sous leur garantie.

C’est ainsi que se termina ce grave conflit. La politique de l’Angleterre, il faut le reconnaître, en sortait triomphante. Au traité d’Unkiar-Skelessi on substituait l’acte du 13 juillet qui rétablissait, à Constantinople, l’égalité des positions entre tous les cabinets. L’influence que la France conservait en Égypte n’était plus redoutable. Mais on croyait, surtout à Londres, avoir fait plus encore ; on se flattait d’avoir placé, par la convention des détroits, la Turquie sous la protection collective et durable des puissances, d’être ainsi parvenu à assurer, pour de longues années, l’existence de l’empire ottoman et la paix de l’Orient. Un avenir prochain devait démontrer combien sont fragiles et impuissans les calculs de la diplomatie, quand ils se heurtent aux intérêts et à la force des choses.

Dix ans s’étaient à peine écoulés que les rôles se trouvaient renversés : l’Angleterre s’alliait à la France et leurs armées réunies débarquaient en Crimée pour combattre et refouler celles de la Russie qui avaient envahi l’empire ottoman. En 1856, au congrès de Paris, qui met fin à cette nouvelle guerre, témoignant, une fois de plus, de la vanité et de l’inconsistance de certains arrangemens internationaux, les souverains, par l’organe de leurs plénipotentiaires, « déclarent la Sublime-Porte admise à participer aux avantages du droit public et du concert européen. Leurs Majestés s’engagent, chacune de son côté, à respecter l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’empire ottoman, garantissent en commun la stricte observation de cet engagement, et considéreront, en conséquence, tout acte de nature à y porter atteinte comme une question d’intérêt général. » Et une dernière guerre éclate en 1877, qui conduit les Russes aux portes de Constantinople sans déterminer les autres puissances à intervenir comme elles s’y étaient mutuellement obligées. Cette fois, ce n’est plus à Paris, c’est à Berlin qu’on se réunit pour régler les comptes, et chacun taille son lot dans cet empire ottoman qui, par une dérision du sort, n’a jamais été plus démembré que du jour où les puissances ont promis de garantir et, au besoin, de défendre son intégrité.