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Prusse, voulaient, à tout prix, conjurer un si grave péril, et déjà elles s’employaient activement à Londres et à Saint-Pétersbourg, même à Paris, à l’aide de communications confidentielles, pour rechercher une combinaison devant substituer l’accord à cinq à l’accord à quatre qui, dans la pensée des cours de Vienne et de Berlin, avait atteint le but pour lequel il avait été conclu. Le cabinet français accueillait ces vœux en protestant de ses intentions pacifiques, de son désir de se prêter à tout accommodement que sa dignité offensée lui permettrait d’agréer, faisant remarquer que, dans sa position, il lui était interdit de prendre aucune initiative. Cependant l’époque ordinaire de la session législative approchait ; le ministère convoqua les chambres et soumit au roi le projet de discours du trône. Dans la persuasion qu’il était à la fois digne et habile d’apprécier la situation sans déguisement, il jugea opportun de faire entendre un langage conforme au sentiment du pays[1]. Le souverain considéra que cette manifestation n’était pas impérieusement exigée par les circonstances. M. Thiers remit sa démission, et M. Guizot fut chargé de former le nouveau ministère.

Le cabinet du 29 octobre héritait d’une situation qu’il eût vainement essayé de modifier sensiblement. Tous ses efforts tendirent à en atténuer la gravité. Il maintint les armemens sans les développer, il fit voter la loi sur les fortifications de Paris préparée par ses prédécesseurs, mais à l’aide de nuances discrètement ménagées dans le langage et dans l’attitude, il prit une position qui se distinguait de celle de M. Thiers par un caractère particulier de réserve et de modération. Il ne répudiait aucune des exigences que l’isolement imposait au pays, en marquant davantage toutefois ses dispositions conciliantes afin de faciliter aux alliés un prompt rapprochement avec la France.

  1. «… La France, disait le projet de discours, qui continue à souhaiter sincèrement la paix, demeure fidèle à une politique que vous avez, plus d’une fois, appuyée par d’éclatans suffrages. Jalouse d’assurer l’indépendance et l’intégrité de l’empire ottoman, elle les croit conciliables avec l’existence du vice-roi d’Egypte… Mais les événemens qui se pressent pourraient amener des modifications plus graves. Les mesures, prises jusqu’ici par mon gouvernement, pourraient alors ne plus suffire. Il importe donc de les compléter par des mesures nouvelles pour lesquelles le concours des deux chambres était nécessaire… Elles penseront comme moi que la France, qui n’a pas été la première à livrer le repos du monde à la fortune des armes, doit se tenir prête à agir le jour où elle croirait l’équilibre européen sérieusement menacé… J’aime à compter, plus que jamais, sur votre patriotique concours. Vous voulez, comme moi, que la France soit forte et grande. Aucun sacrifice ne vous coûterait pour lui conserver, dans le monde, le rang qui lui appartient. Elle n’en veut pas déchoir. La France est fortement attachée à la paix, mais elle ne l’achèterait pas d’un prix indigne d’elle, et votre roi, qui a mis sa gloire à la conserver au monde, veut laisser intact, à son fils, ce dépôt sacré d’indépendance et d’honneur national que la Révolution française a mis dans ses mains. »