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avaient encore quelque chose à explorer et à reconnaître : qu’ont-elles exploré ? quel genre de renseignemens ont-elles apporté ? Elles n’ont reconnu le plus souvent que des positions inutiles, et, faute d’une théorie précise sur la nature des renseignemens nécessaires, n’ont fourni que des renseignemens surannés. Tous ces beaux escadrons, rongeant leur frein, n’ont fait ainsi qu’épuiser leurs chevaux dans des marches inutiles sur les ailes des armées, le plus souvent au pas, — tel régiment a fait au pas près de 60 kilomètres, — si bien qu’à la fin des manœuvres un bon tiers des chevaux était sur le flanc sans que ce sacrifice ait été compensé par un rendement appréciable. Sur la tactique préparatoire du combat, je cite encore, parce que je ne saurais mieux dire, la critique autorisée du rédacteur de la Revue de cavalerie : « Dans le langage militaire actuel, on dit couramment le duel des deux cavaleries pour désigner la première et inévitable rencontre des nombreux escadrons jetés en avant du front des armées, et cette expression est très heureuse en ce qu’elle fait image. On voit les deux adversaires s’observer d’abord, puis se tâter, puis bientôt essayer de se tromper par une suite de feintes, enfin se fendre pour tout de bon et à fond et alors engager le fer avec la rapidité de l’éclair. Or rien de pareil ne s’est produit sur le terrain des opérations. De part et d’autre, on s’est avancé lourdement, en tâtonnant, en hésitant presque à chaque pas, à la recherche non de l’ennemi, mais de positions successives, — un non-sens et même un contresens pour la cavalerie, — auxquelles on restait cramponné jusqu’à la dernière extrémité. » Aucune idée, aucune tentative de manœuvre ; pas un raid digne de ce nom. Plus d’une fois l’infanterie s’est trouvée en face de l’ennemi sans que la cavalerie en ait même signalé l’approche.

Les commandans de la cavalerie « indépendante » ont-ils mieux compris leur rôle pendant et après la bataille ? Voici les faits qui ont été constatés par toute l’armée : pendant la bataille, les escadrons arrivaient d’ordinaire trop tard, parce qu’ils avaient commencé par se promener, d’ordinaire au pas, à des distances énormes, cherchant inutilement à dévorer un ennemi qui était depuis longtemps engagé. Certes, quand ils finissaient par arriver sur le champ de bataille et quand ils n’étaient pas complètement épuisés, ils chargeaient alors avec une fougue superbe, dans un ordre magnifique, vagues vivantes qui avançaient avec une irrésistible puissance. Mais la charge était à peine terminée que les régimens tournaient bride pour retourner lentement à leurs cantonnemens, et on ne les revoyait plus de la journée.

Ils n’ont fait que charger et n’étaient déjà plus.