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diriger des batailles du fond d’un carrosse, et le plus hardi cavalier de notre armée, l’homme de fer et de bronze par excellence, le général de Galliffet, n’hésite pas à professer, que, le cas échéant, il serait le premier à en faire autant. Mais s’il est à peu près inutile que l’armée voie le général en chef, il est indispensable qu’elle sente toujours et partout sa pensée. Invisible et présent, il faut que toute action d’ensemble vienne de lui. Il serait désastreux qu’il perdît son temps à régler le détail ; mais sa pensée doit apparaître à tous avec assez de clarté pour que, dans le règlement du moindre détail, tout concoure effectivement à la réaliser. L’immense étendue des champs de bataille de l’avenir, les foules énormes qui composent les armées modernes, la portée merveilleuse des armes à feu, tout concorde pour lui imposer cette conception de son rôle. L’étroit caporalisme d’autrefois n’a jamais été une force ; il devient aujourd’hui un non-sens. Au chef suprême, le soin de donner les indications générales, de choisir et de montrer le but à atteindre ; à ses lieutenans de choisir les moyens de l’atteindre et de l’enlever. Et ce qui est vrai ainsi du général en chef ne l’est pas moins, toutes proportions gardées, du général d’armée et du général de corps d’armée.

Le général Saussier, dans ses fonctions de généralissime, le général Davout et le général de Galliffet, à la tête des armées de l’Est.et de l’Ouest, ont-ils compris ainsi leur rôle et leur mission ? M. le ministre de la guerre l’a dit très haut dans son discours de Vandœuvre, et il a eu raison de donner à cette affirmation tout le retentissement d’un grand discours gouvernemental. Si le plan des manœuvres avait été moins étroit, s’il avait été réglé moins minutieusement à l’avance, j’ose dire que la force initiale d’impulsion se serait fait sentir plus vigoureusement encore, et l’on peut prévoir qu’elle sera, en temps de guerre, en raison directe de la liberté d’initiative qui sera laissée aux chefs de corps.

Non point sans doute, — et c’est là encore l’un des plus précieux enseignemens des manœuvres, — que cette liberté puisse se traduire impunément par l’isolement de l’action individuelle. Le contact des coudes est indispensable aux divers corps d’armée qui forment une armée comme à chacune des unités tactiques entre elles. Le secret de l’art est précisément là. C’est dans le cadre de la pensée générale, dans la préoccupation constante du but fixé et dans le souci jaloux du contact à conserver que la liberté d’initiative doit se mouvoir, — et ce cadre est assez large. Ainsi le commandant du 6e corps, s’il faut citer des exemples, a toujours paru agir selon ces principes d’une éternelle justesse ; à la bataille de Vandœuvre notamment, il a su faire mouvoir avec la plus grande