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qualités et les vertus sont-elles toutes innées ? l’initiative, elle aussi, s’enseigne et s’apprend comme la discipline ; elle se forme et se développe comme le courage. Pourquoi, dès lors, avoir toujours l’air de croire que l’esprit d’initiative viendra tout seul, de lui-même, par on ne sait quelle génération spontanée, par cela seul que l’on se trouve promu au grade qui en comporte l’emploi ou placé subitement dans des circonstances graves où il est indispensable ? Si vous ne vous êtes pas exercé de longue date à développer cet esprit dans la mesure où chacun des grades successifs le comporte, pourquoi vous étonner que la maladie de nos généraux ait été constamment la crainte, l’angoisse des responsabilités ? Qu’avez-vous fait pour les en guérir ? Mais non-seulement vous n’avez rien fait et vous ne faites rien pour porter remède à ce mal dont les dangers vous sont cependant connus ; vous vous obstinez, hélas ! à tuer chez ceux qui en sont naturellement animés l’esprit d’initiative par la terreur des responsabilités à prendre, si bien que l’officier le plus hardi perd au bout de peu d’années son audace native et qu’au jour où vous lui demanderez d’agir par lui-même, il ne trouvera pas plus l’emploi de ses facultés atrophiées qu’un prisonnier enchaîné depuis dix ans ne retrouverait pour s’enfuir, si ses liens se brisaient tout à coup, l’usage de ses jambes.

Je connais l’objection : élargir le champ de l’initiative, c’est courir le risque- d’augmenter le nombre des fautes. Hé ! sans doute, il s’en commettra d’abord, mais combien moins graves que celles qui résultent de la crainte des responsabilités ! Et puis quelle est l’éducation qui se fait sans erreurs, sans à-coups, sans expériences parfois coûteuses ? Parmi les libertés nécessaires, ne faut-il pas compter la liberté de l’erreur ? Or, c’est cette éducation qu’il s’agit de faire, et quand la préparera-t-on, notamment pour les généraux d’armée et les commandans de corps, si ce n’est en temps de paix et précisément pendant les manœuvres ? Quelle sera, en effet, la prochaine guerre ? En quoi ressemblera-t-elle à la grande représentation théâtrale qui est restée l’idéal du ministère du boulevard Saint-Germain ? Qui ne voit que l’initiative individuelle est destinée à y devenir l’élément même de la victoire ? On peut régler à la rigueur, en pays ami, en pleine paix, avec cinq ou six mois de préparations savantes, les marches et contremarches de quatre corps d’armée ; quand il s’agira de trois ou quatre armées avec leurs réserves, on ne pourra donner que des lignes générales ; pourquoi ne pas s’en contenter dès à présent ? Quand deux corps d’armée se heurtent sur un champ de manœuvres relativement étroit, tout restreint qu’il soit, il est cependant trop étendu encore pour que le général le plus prompt, sur le cheval le plus rapide, puisse le voir et le connaître tout