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devait y conduire. Mais quoi ! le plan de campagne, s’il n’avait été qu’une esquisse, aurait fait moins de gloire à ses auteurs et, par conséquent, il fallait qu’il fût écrit d’avance qu’on se battrait sur tel point précis et non ailleurs. Les promenades d’état-major reconnurent donc, dès le printemps, les moindres accidens des terrains où allaient se livrer les combats d’automne : ici la croupe de Beurey qui domine, de la grande ligne de Belfort à l’impénétrable forêt du grand Orient, toute la plaine de Vandœuvre, le ruisseau de Landion, et le ru de Crébenard qui enveloppe, comme d, ’un fossé, la gauche du plateau ; là, de l’Aube à la Blaise, la crête qui va s’élevant de la route de Bar, jusqu’au signal culminant de Colombey-les-deux-Églises, la fameuse cote 342 et le contrefort de Lignol, dont l’occupation par l’une ou l’autre des armées doit décider du sort même de la rencontre, demain, comme il y a quatre-vingts ans, quand le maréchal Mortier, battant en retraite de Langres sur Troyes, y arrêta, le 24 janvier 1814, les forces décuples du prince de Schwarzenberg.

Voilà donc la part de l’inconnu réduite à ce qui pourrait passer déjà pour un minimum ; les deux armées savent d’avance sur quel terrain elles se heurteront et elles en ont pu étudier à loisir les avantages et les inconvéniens. Mais ce n’est pas tout, et, longtemps avant la constitution des armées de l’Ouest et de l’Est, les états-majors avaient été instruits encore de bien autre chose. Ils avaient reçu et mis à l’étude le plan détaillé jour par jour de toute la période des manœuvres. Ils savaient que, le général de Galliffet et le général Davout s’étant concentrés le 2 septembre, le premier avec les 5 et 6e corps sur la rive droite de la Seine et sur la rive gauche de la Marne, le second avec les 7e et 8e corps vers Lignerol-Montigny, l’armée de l’Est (Davout) serait signalée vers Chaumont le 5e septembre, et que, l’armée de l’Ouest se portant entre la Blaise et la vallée de l’Aube, pour empêcher l’ennemi de déboucher des forêts, n’arriverait pas à temps, — je copie textuellement l’ordre général des manœuvres, — et serait réduite à couvrir, en face de Colombey, les passages de l’Aube. L’ordre décidait encore que, le lendemain du jour où les cavaleries des deux armées auraient pris ainsi le contact, et alors que les avant-postes ne seraient plus séparés que par quelques kilomètres, la bataille générale serait retardée de vingt-quatre heures pour permettre aux troupes de se reposer le dimanche, trêve de Dieu d’ailleurs absolument invraisemblable, puisque deux adversaires qui ont tout fait pour amener et préparer une action décisive n’ont point coutume, juste à ce moment, de s’accorder un répit pour prendre haleine, trêve tellement factice et contraire à la logique des