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devînt nécessairement son alliée ? Vous avez la régence d’Alger… Toute la côte d’Afrique et une partie de la côte d’Asie sur la Méditerranée, depuis le Maroc jusqu’à Alexandrette, seraient ainsi en votre pouvoir et sous votre influence. Cela ne peut nous convenir. » Avant de se retirer, M. Guizot exprima le désir d’être fixé sur l’état des pourparlers engagés entre l’Angleterre et les cabinets du Nord : « Y a-t-il, dans cette affaire, quelque chose de plus avancé que nous ne savons ? demanda-t-il à son interlocuteur. — Il n’y a rien, absolument rien que ce que vous savez, » lui fut-il répondu. C’était vrai en ce sens qu’on ne s’était rien déguisé : ni les défiances, ni les oppositions. Le dernier trait du ministre britannique le prouvait surabondamment. Pour donner d’ailleurs un témoignage de sa sincérité et démontrer à notre représentant que, si elle ne voulait se séparer des autres puissances, la France devait mettre d’accord ses vues avec celles de l’Angleterre, il se leva, il tira d’un pupitre deux documens et il invita l’ambassadeur à en prendre connaissance. Ces documens étaient deux projets de traité : l’un avait été ébauché par le noble lord lui-même, l’autre lui était venu du continent ; il en convint sans désigner la capitale où il avait été élaboré. L’un et l’autre, sauf quelques variantes, stipulaient ce qu’on appelait, en France, la rigoureuse exécution de Méhémet-Ali avec le concours coercitif, au besoin, de toutes les puissances intéressées, la France comprise. On n’ignorait pas à Paris le sens et l’objet des propositions que M. de Brünnow avait portées à Londres, et moins encore de quelle manière le gouvernement de la reine les envisageait ; on connaissait également l’accueil qu’elles avaient reçu à Vienne et à Berlin ; mais on ne supposait pas que l’on se fût déjà mis à l’œuvre, en Angleterre et sur le continent, pour donner à l’entente commune une forme diplomatique. Pour rester dans la vérité historique, nous devons ajouter que si lord Palmerston, qui, sur cette question, ne s’est pas toujours rencontré en parfait accord avec ses collègues du ministère, avait désormais arrêté ses résolutions, il s’employait cependant très loyalement à y rallier le gouvernement français ; il lui en coûtait d’entreprendre la pacification de l’Orient sans notre participation. « Je suis fort aise, dit-il à M. Guizot en terminant l’entretien, que nous ayons causé de l’affaire à fond ; j’attendrai maintenant que vous en ayez rendu compte au gouvernement du roi et qu’il vous ait transmis ses instructions. » Ces deux puissans esprits s’étaient tout dit, comme ils en étaient convenus, sans approcher du but qu’ils poursuivaient. Leurs vues ne s’étaient rencontrées sur aucun point ; elles étaient inconciliables ; et, si nous nous sommes arrêté longuement sur la discussion qu’ils ont engagée, c’est qu’elle apprend tout : la divergence des opinions et la ferme