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l’Angleterre, mettant en pleine lumière leurs opinions respectives et contradictoires, restées jusque-là inconciliables. Abordant le point délicat, l’obstacle qu’il fallait vaincre : « Vous savez, monsieur, disaient-elles, quelles ont été, jusqu’à présent, les suites de ce fâcheux dissentiment. A peine est-il devenu public que le cabinet de Saint-Pétersbourg s’est empressé de saisir l’occasion qu’il a cru entrevoir de rompre l’alliance de la France avec l’Angleterre. » Je ne reproduirai pas ici les détails de la mission confiée au baron de Brünnow ; il me suffira de les résumer en disant que les propositions portées à Londres par ce diplomate ne recelaient au fond qu’une pensée… c’était celle d’amener le cabinet britannique à signer un acte que la France ne pût pas souscrire et qui, par conséquent, proclamât la scission des deux cabinets.

« Le rôle que l’Autriche et la Prusse ont joué, en cette circonstance, est pénible à rappeler, parce qu’il prouve qu’il est des préjugés auxquels certains cabinets ne sauront jamais résister… Ces deux cours qui, jusqu’alors, avaient presque complètement approuvé nos vues et nos propositions sur la question d’Orient, ont à peine entrevu la possibilité d’une alliance formée contre nous, sur des bases toutes contraires, qu’abandonnant leurs convictions, désavouant leurs déclarations antérieures, elles se sont empressées d’adhérer, par avance, à la ligue qui semblait au moment de se conclure. »

En se reportant à cette époque et en se souvenant de l’action, souvent impérieuse, que l’empereur Nicolas exerçait personnellement à Vienne et à Berlin, on n’est nullement surpris de la conduite tenue par les deux cours germaniques. Mais était-ce uniquement dans le dessein de troubler profondément l’entente de la France et de l’Angleterre que la Russie offrait au cabinet britannique de renoncer à l’enviable position qu’elle avait conquise à Constantinople ? Les engagemens qu’elle avait pris avec la Turquie étaient, en quelque sorte, la répudiation de sa politique traditionnelle, dont la pensée constante avait toujours été, au contraire, de protéger ses coreligionnaires, et le but, de les délivrer de la domination des Ottomans. Ces engagemens troublaient la conscience de l’empereur Nicolas, et son désir de les secouer devait être d’autant plus vil qu’ils avaient, en se prolongeant, mal impressionné les populations chrétiennes dans tout l’Orient. Ils avaient eu un autre résultat, celui de rapprocher toutes les puissances, l’Autriche et la Prusse comprises, de les unir pour faire obstacle à la prépondérance de la Russie à Constantinople. Ils conduisaient donc la cour de Saint-Pétersbourg aux compromissions, et, dans tous les cas, à l’isolement. Aussi ne fit-elle aucune difficulté, dès le lendemain de la journée de Nezib, pour s’associer aux autres