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pas craint d’ajouter : « Nous savons, et le roi le sait aussi bien que nous, que les annexions dues à la force sont comme un boulet attaché à une nation. » M. le bourgmestre Buis a désavoué tout ce qui était politique occulte, malveillance ou défiance à l’égard de la nation française. Et ce langage simple et franc, il ne l’a pas tenu seulement pour son propre compte ; il l’a tenu avec l’autorisation expresse du gouvernement belge, par une sorte de mandat avéré du roi Léopold dont il avait reçu les instructions avant son départ pour Marseille, dont il a eu l’approbation à son retour en Belgique. Il n’est pas sûr sans doute que ces déclarations si nettes désarment les polémistes qui continueront leur guerre de soupçons ; elles n’ont pas moins la valeur d’un acte international et, rapprochées de l’état de l’Europe, de l’ordre nouveau de relations où est entrée la France, elles ont une signification d’autant plus caractéristique. Elles remettent la clarté là où l’on s’est plu un instant à mettre le doute et l’obscurité. Elles sont, dans tous les cas, à leur manière, sur un point déterminé, un gage pacifique de plus. À peine ces manifestations sympathiques et rassurantes arrivaient-elles de Belgique, cependant, surviennent les incidens de Rome, et après les incidens de Rome, l’entrevue du roi Humbert avec M. de Giers, le déjeuner de Monza, ce déjeuner dont le gouvernement italien a évidemment tenu à relever l’importance en lui donnant un air de grande combinaison et d’énigme diplomatique.

Qu’est-ce que peut être réellement ce déjeuner de Monza dont on a déjà tant parlé et dont on ne parlera peut-être plus bientôt ? Le ministre des affaires étrangères de l’empereur Alexandre III, M. de Giers, a voulu cette année, vraisemblablement sans autre intention, passer ses vacances en Italie. Il est allé à Venise, la ville du repos, il est allé aussi à Pallanza, au bord des lacs. De Pallanza à Monza, où résidait le roi Humbert, il n’y a pas bien loin, et M. de Giers, surtout si, comme on le dit, le désir lui en a été témoigné, ne pouvait guère se dispenser de rendre visite au roi d’Italie. Il a accepté, après vingt-quatre heures de réflexion, l’invitation qui lui aurait été adressée. Il est allé à Monza, où il a été retenu à déjeuner et où il s’est rencontré non-seulement avec le président du conseil, M. di Rudini, qui était allé l’attendre à Milan, mais avec quelques autres diplomates. Le déjeuner paraît avoir été assez bref et s’être peu prêté à de longs entretiens politiques. Cette première visite une fois faite, M. de Giers, en homme bien élevé, pouvait encore moins se dispenser de faire la seconde pour la politesse qu’il avait reçue. Puis il est parti, se dirigeant sur Wiesbaden ; on ne sait pas encore où le conduira son voyage après son séjour à Pallanza et son passage à Monza. Voilà le fait. Il n’en a pas fallu davantage pour mettre les imaginations en émoi et tous les nouvellistes, tous les correspondans de journaux en campagne, d’autant plus que rien, en vérité, n’a été négligé pour piquer la curiosité, pour laisser supposer