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cabinets entretenaient à cette époque et malgré de longs pourparlers, on ne put trouver un terrain d’entente et de conciliation.

Quelle était cependant l’attitude des autres puissances ? L’Autriche et la Prusse désiraient ardemment une solution pacifique ; l’éventualité de nouveaux conflits en Orient, pouvant dégénérer en une guerre générale, les inquiétait l’une et l’autre. Mais pendant qu’elles échangeaient avec les autres cours des communications qu’elles variaient selon leur destination, la Russie intervint énergiquement à Londres. Nous dirons bientôt dans quelles intentions. Le traité d’Unkiar-Skelessi, conclu pour huit années, n’était pas encore périmé à ce moment. Les dissentimens survenus entre la France et l’Angleterre suggérèrent au cabinet de Pétersbourg de nouvelles combinaisons. Il envoya à Londres un homme d’une grande expérience, plein de ressources, qui devait, en cette occasion comme dans bien d’autres, justifier la confiance de son souverain. Esprit fin et insinuant, entreprenant ou mesuré selon le besoin, le baron de Brünnow appartenait à ce groupe de diplomates si remarquables qui s’étaient formés sous l’habile direction du comte de Nesselrode. Actif, laborieux, vigilant, il remplissait ses instructions avec une sage circonspection et une parfaite sûreté de main. Celles qu’il apportait à Londres lui prescrivaient, en substance, de faire à l’Angleterre le sacrifice des avantages dévolus à la Russie par le traité d’Unkiar-Skelessi, pourvu qu’elle assumât l’obligation de mettre vigoureusement, de concert avec les autres puissances, la souveraineté du sultan à l’abri de tout nouveau danger ; à cette condition, la Russie lui abandonnait, en quelque sorte, la première place sur le Bosphore. Comme tous les hommes d’État anglais, lord Palmerston, qui tenait, à ce moment, le portefeuille des affaires étrangères, supportait, avec une égale impatience, la domination de la Russie à Constantinople et l’influence de la France en Égypte. Le cabinet de Saint-Pétersbourg lui offrait de renverser cet état de choses au profit de l’Angleterre ; il agréa ces ouvertures, si conformes, d’ailleurs, à ses vues personnelles.

Cette brusque évolution de la politique russe ne fut pas longtemps un mystère pour le gouvernement français. Il voulut en conjurer les conséquences, et il fit appel aux lumières et au dévoûment de M. Guizot, qui accepta le poste d’ambassadeur à Londres. On ne pouvait marquer, d’une façon plus éclatante, le prix qu’on mettait à se concerter avec l’Angleterre. Les instructions dont on l’avait muni lui signalaient sans détours les difficultés de la tâche qu’il avait à remplir. Après avoir rappelé que les puissances avaient unanimement accepté le principe d’une transaction équitable entre la Porte et le pacha, elles précisaient le point de vue de la France et celui de