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préfaces de Beethoven et de Weber ! Mais l’autre soir, dans le silence attentif, je le sentais, à peine perceptible d’abord, se répandre peu à peu, remplir, imprégner l’atmosphère à la manière des parfums. Et j’admirais l’immatérialité de cette phrase, si haute, si pure ; je l’écoutais descendre du ciel sur la terre, y apporter son ineffable douceur, puis, quand elle s’était donnée tout entière, nous jeter un dernier regard et mourir. Entre cette forme d’ouverture et l’idée dramatique de l’œuvre, le rapport m’apparaissait évident. Lohengrin sera d’une pureté céleste, comme la mélodie qui le représente, et comme elle il ne fera que passer.

Mais ainsi que le Christ, dont il est le serviteur, cet être céleste aura pourtant quelque chose d’humain. Et quelle touchante et douloureuse humanité que la sienne ! Sous la cuirasse d’argent et le manteau d’azur, il vient sur les eaux, le blanc chevalier. Le peuple qui l’aperçoit l’acclame, s’élance au-devant de lui. Jamais peut-être en aucun chef-d’œuvre musical telle explosion d’enthousiasme ne salua un héros. Pourquoi donc, au lieu de sourire à cette foule, au lieu de courir à la vierge extasiée, pourquoi demeure-t-il un pied encore dans la nacelle, écoutant en lui l’écho non de leur joie, mais de sa tristesse ? Parce qu’il voit dans l’avenir la vanité de sa mission, la fragilité des sermens et de l’amour de la femme. Il descend pourtant de sa conque d’or ; il essaiera au moins l’œuvre de félicité et de grâce ; mais sa prescience emplit son cœur d’une si profonde mélancolie, et si étrange, que pour cet adieu sans pareil, pour ce renvoi de l’oiseau bien-aimé vers les régions idéales, hélas ! inutilement délaissées, nous donnerions peut-être les merveilles qui précèdent ; les mille cris de la foule pour cet unique soupir.

Les âmes, toujours les âmes. C’est là décidément que nous voulons aujourd’hui pénétrer. De Lohengrin, plutôt que les nouveautés harmoniques, instrumentales ou autres, c’est la nouveauté psychologique que nous cherchons à surprendre. Sous ce rapport, le point culminant de l’œuvre est évidemment le duo d’amour. Ici, les différences entre l’esthétique, je dirais presque l’éthique de Wagner et celle de ses devanciers, vont nettement s’accuser. Rappelons-nous deux des plus célèbres, des plus beaux duos d’amour : celui de Roméo et celui des Huguenots. Où tendent-ils et vers quelle conclusion les voit-on se hâter ? Il s’agit de savoir si Roméo, si Raoul, s’arracheront aux bras qui les retiennent, l’un pour fuir Vérone, l’autre pour aller mourir. C’est contre l’exil et contre la mort du bien-aimé que se débattent Juliette en larmes, Valentine hors d’elle-même. C’est du dehors, mais du dehors seulement, que viennent et le danger et le malheur. Dans le duo de Lohengrin au contraire, ils viennent du dedans, hélas ! et de l’une des deux âmes. L’amour ici n’est menacé d’abord, puis