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lui demande pas de sacrifice. Il est venu prendre place parmi les héros ses aînés et non prendre leur place : — Des mots, des mots ! répondra peut-être la foule, avec Hamlet. Faites-nous plutôt clairement comprendre ce que nous sentons confusément. Démêlez pour nous dans cette musique complexe la part de la tradition et celle de la réforme, les souvenirs et les espérances ; montrez-nous les deux visages du dieu.

Voilà justement ce que nous voudrions tenter, non pas comme naguère après les représentations de l’Eden, par un examen rigoureux, encore moins technique, mais par des observations plus générales, et, s’il est possible, par la définition morale de l’œuvre.

L’opéra « romantique » de Wagner est encore à demi engagé dans le passé. Aimez-vous, dans le répertoire de Meyerbeer (je prends celui qui nous est le plus familier), aimez-vous les cortèges et les processions ? Lohengrin est plein de pompes religieuses, militaires ou nuptiales : rappelez-vous l’admirable marche des fiançailles, les chœurs de soldats, moins admirables sans doute, et le délicieux épithalame à la Boïeldieu (nous remontons déjà plus haut que Meyerbeer), et ces pages étonnamment décoratives, peintes à grands coups de brosse : l’entr’acte de fête, inspiré d’Euryanthe, avant le troisième tableau : avant le quatrième, la réunion des comtes. Voulez-vous un finale, un vrai, d’autres diront un vieux finale d’opéra, vous en aurez deux : celui du premier acte (Weber et Meyerbeer) et celui du second, interminable, hélas ! avec les scandales successifs d’Ortrude et de Frédéric, des orgues et des cloches comme dans la Juive. Et la belle prière du premier acte, entonnée par le roi d’abord et reprise à grand renfort de triolets, Meyerbeer ne l’eût-il pas trouvée ?

Quant aux principes de Wagner, ils ne règnent point encore ici ; ou plutôt ils y règnent, mais ne gouvernent pas. Tant mieux, disent les uns. Hélas ! répondent les autres, et dans le débat il ne s’agit pas aujourd’hui de prendre parti. Dans Lohengrin, le leitmotiv est de mise, mais non de rigueur. L’orchestre, admirable d’éloquence, souligne la parole au lieu de l’effacer. Le maître enfin n’a pas encore, sous prétexte de mélodie continue, rompu avec les morceaux nettement coupés. Je vois pourtant qu’il en a fini avec les airs proprement dits et qu’on ne trouverait déjà plus dans Lohengrin l’équivalent de la romance de l’étoile. Mais, je vous prie, l’opéra français lui-même n’a-t-il donc été jusqu’ici qu’une série de cavalines et de couplets ? On vante la rêverie d’Elsa aux étoiles, et je sais en effet peu de pages aussi exquises, aussi peu « romance. » Mais ce n’est pas non plus une romance que chantait Marguerite, aux étoiles aussi, et pas plus qu’à Wagner il ne faut refuser ici à Gounod la liberté de la forme, le naturel et la vérité. Une grande scène comme l’interrogatoire d’Elsa, jusqu’à l’arrivée du cygne, est un