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A Dieu ne plaise que je le leur reproche ! et, encore une fois, je crois avec eux que, n’y ayant pas de morale sans une conception de l’objet et du but de la vie, il n’y en a donc pas sans quelque métaphysique. Seulement, ils oublient que la loi ni l’institution sociale n’ont pour objet de faire régner la vertu sur la terre, encore moins une certaine vertu, et que même la pire forme de tyrannie qu’il y ait, c’est quand la loi positive, empiétant sur le domaine de la conscience, essaie de définir et d’enseigner la morale.

C’est, à notre sens, le grand défaut du livre de M. Proal sur le Crime et la peine. Spiritualiste convaincu, magistrat expérimenté, M. Proal n’admet pas qu’il y ait de vérité en dehors du spiritualisme ; et, si ce n’est point des conséquences du déterminisme qu’il en déduit la fausseté, c’est à tout le moins sur les conséquences du libre arbitre qu’il fonde les raisons de sa réalité. « Si l’humanité a besoin pour vivre de cette croyance, si les lois ne peuvent s’en passer, n’est-ce pas une preuve que cette liberté existe ? Est-ce qu’une illusion peut avoir ce degré de nécessité ? Croyez-le, tous vos efforts pour détruire ce roc indestructible, sur lequel repose le code, seront vains. La croyance au libre arbitre restera debout dans la conscience et dans les lois, sur les ruines de vos théories. Les vieilles vérités morales restent toujours jeunes, parce qu’elles sont éternelles, tandis que les nouveautés paradoxales, même revêtues d’apparences scientifiques, vieillissent vite. » Voilà qui va bien ! Mais, si par hasard, on détruisait ce « roc indestructible ! » C’est ce que M. Proal a oublié d’examiner, ou, si l’on veut, et pour mieux dire, dans les doctrines qu’il réfutait, il n’a vu que ce qu’un spiritualiste y pouvait voir : j’entends la négation ou la contradiction des siennes.

Je n’en citerai qu’un exemple. Darwin avait dit autrefois dans sa Descendance de l’homme : « Il se pourrait que, dans l’humanité, de mauvaises dispositions, qui, à l’occasion et sans cause assignable, reparaissent dans les familles, fussent des retours vers un état sauvage dont nous ne sommes pas éloignés par un grand nombre de générations. » M. Proal s’inscrit en faux contre cette assertion ; hésitante et dubitative encore dans la pensée de Darwin, il nous la montre, avec une grande abondance de citations bien choisies, devenue le fondement ou la loi de toute une école d’anthropologie criminelle ; il essaie de la réfuter, il y réussit en quelques points, non pas en tous ; et il conclut lui-même, à la dernière page de son livre, que « déjà la théorie de l’atavisme, après un engouement irréfléchi qui doit inspirer bien des regrets à ceux qui l’ont partagé, est tombée dans le discrédit. » Mais, je crains, en vérité, qu’il ne se fasse à son tour une illusion singulière, comme aussi qu’il ne s’exagère un peu complaisamment les « remords » du docteur Le Bon, ou du professeur Lombroso. Car enfin,