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contient d’observations personnelles ou professionnelles. C’est dommage, toutefois, que le style n’en soit pas toujours assez simple, et, si je l’ose dire, qu’un peu de déclamation s’y mêle à de fort bonnes choses. Écoutez plutôt parler M. Proal : « On avait cru jusqu’ici que le crime n’a pas droit au même traitement que la vertu ! C’était un préjugé ! Plus de honte pour le criminel ! Plus d’indignation contre lui ! L’humanité se trompe quand elle flétrit le parricide, le criminel qui tue pour voler, ou qui viole un enfant ! .. Les criminels auraient le droit de se dire diffamés lorsqu’on leur reproche leur conduite : elle n’est pas méprisable ! » Voilà peut-être beaucoup de mots, et assurément trop de points d’exclamation. Et puis, qui donc a dit que « le crime eût droit au même traitement que la vertu ? » Mais au contraire, M. Proal ne l’ignore pas, ceux qui ne voient dans le criminel qu’une victime de la fatalité, qu’un produit de l’atavisme ou de son tempérament, sont ceux aussi qui proposent de pousser la répression du crime jusqu’à la barbarie. « Quand un chien enragé me mord, nous disent-ils, je ne me soucie pas de savoir si l’animal est responsable ou non de son méfait ; » et ils ajoutent : « Je l’enferme ou je l’abats. » De telle sorte que, si l’on le voulait, et si la gravité du sujet souffrait la plaisanterie, c’est à M. Proal que l’on pourrait reprocher que, sous prétexte de l’améliorer, il traite le criminel avec trop d’indulgence. M. Martha, dans son Rapport, en avait fait l’observation avant nous : « À ces solides réfutations, disait-il, il manque une remarque : C’est que tous ces systèmes niant la liberté, qui paraissent au premier abord destinés à provoquer l’indulgence pour le crime, sont les plus durs de tous les systèmes, puisqu’ils livrent sans pitié, sans scrupule humain, le criminel, comme une bête malfaisante, aux rigueurs implacables de la défense sociale. » Mais peut-être qu’aussi le parti de M. Proal était pris par avance ; — et je ne veux certes pas dire que la remarque fût de nature à l’embarrasser, mais enfin, la disposition de son livre en eût été quelque peu modifiée.

Ce qui est plus grave, c’est qu’en ramenant la question de la nature du crime et de l’imputabilité de la peine à celle du libre arbitre, je crains qu’il n’ait fait avancer ni l’une ni l’autre d’un pas. Pour la question du libre arbitre, à peine ai-je besoin d’insister. Elle est d’ordre métaphysique, et, comme telle, inaccessible aux prises de la méthode que M. Proal appelle d’ailleurs fort improprement expérimentale. En effet, le déterminisme s’oppose à l’illusion de la liberté comme le criticisme à celle de la réalité du monde extérieur ; et, pas plus qu’on ne réfuterait le second en faisant valoir contre lui le témoignage des sens, pas plus on ne réfute le premier en prouvant que les criminels se sentent responsables et seuls responsables de leur crime. Les aliénés aussi ne se croient-ils pas les maîtres de leurs actions ? Mais comment surtout M. Proal n’a-t-il pas vu que,