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Saint-Pétersbourg jugea prudent de s’associer aux autres cabinets pour combiner un accommodement. Ses troupes étaient arrivées en vue de Sainte-Sophie ; elle avait déployé son drapeau libérateur aux yeux de ses coreligionnaires de l’empire ottoman, humilié le sultan en le protégeant ; c’était assez pour donner au prestige de ses armes un éclat nouveau, à son influence en Orient une solidité durable ; elle ne poursuivit pas d’autres succès. Après de laborieuses négociations, et quand il fut bien démontré qu’il faudrait recourir à l’emploi de la force pour contraindre Méhémet-Ali à se dessaisir de ses conquêtes, on détermina la Porte à lui en faire l’abandon, et la paix se trouva rétablie. Ce fut une paix précaire. Le ressentiment de l’orgueilleux Mahmoud avait survécu à ses défaites ; en 1839, après cinq années d’efforts pour réorganiser son armée avec le concours d’officiers européens, parmi lesquels figurait le futur maréchal de Moltke, il engagea de nouveau la lutte. La victoire remportée à Nezib, par Ibrahim-Pacha, dans une journée sanglante et décisive, fit une seconde fois de Méhémet-Ali l’arbitre du sort de son souverain. Si l’Europe n’y mettait obstacle, l’Orient lui appartenait ; il pouvait mettre la main sur le Bosphore et, renversant l’histoire, relever l’empire des califes sur les débris de celui des sultans Sélim et Soliman, ces aveugles contempteurs de la civilisation arabe qui avait brillé d’un si éblouissant éclat à Bagdad et à Damas. Mais si Méhémet-Ali a rêvé la restauration de ces temps éteints, des rives du Nil aux bords de la Mer-Noire, il n’a jamais conçu assurément la folle pensée d’étendre sa domination à la Turquie d’Europe. Il n’en devenait pas moins urgent pour les puissances d’interposer leur autorité afin de conjurer la chute d’un vaste empire qui, en s’écroulant, aurait soulevé des complications inextricables pour la diplomatie et provoqué une guerre générale. Elles furent bientôt unanimes à penser que le moment était venu de se concerter pour garantir l’existence de la Turquie en délimitant, par un arrangement international, la puissance de l’Egypte, et un mois s’était à peine écoulé, depuis la défaite de l’armée turque, que cette entente était annoncée à la Porte dans une note collective que leurs représentans à Constantinople lui remirent le 27 juillet. L’Europe prenait, si nous pouvons nous exprimer ainsi, possession de la question d’Orient.


II

D’accord sur le but, on se divisa bientôt sur les moyens, et nous ne saurions en être surpris, nous qui avons été les témoins des luttes dont la Turquie a été, depuis, le théâtre, et qui avons assisté aux délibérations du congrès de Berlin, où l’on a vu ses prétendus