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allemande, et surtout de sa liaison avec Voltaire : « Ce Français serait aussi peu à sa place ici que sur le piédestal de la statue du roi, d’où on l’a sagement banni. » Encore un coup, remplacez tous les détails fâcheux ou odieux par de précises et abondantes données statistiques, par le minutieux tableau de l’état matériel de la Prusse sous chacun de ses rois, par des explications circonstanciées sur ses accroissemens territoriaux.

Autre difficulté. Il serait bon d’entretenir le petit Prussien, durant quelques années au moins, dans la salutaire conviction qu’il n’y a pas d’autre histoire dans le monde que celle de la Prusse. Mais comment lui raconter les règnes de Frédéric-Guillaume II et de Frédéric-Guillaume III sans lui parler de la révolution française ? Lui dira-t-on que cette révolution a produit à la fois de grands biens et de grands maux, qu’elle a renouvelé la face de l’Europe et de l’Allemagne en particulier, qu’elle a eu pour conséquence l’abolition de privilèges, d’inégalités choquantes, d’abus invétérés que les Prussiens eux-mêmes trouvaient intolérables ? Si le petit Prussien s’avisait de croire que quelque chose de bon peut venir de France, tout serait perdu, et c’en serait fait de son patriotisme. Mais il y a manière de s’y prendre. En étudiant l’histoire de la guerre de 1870, nous dit M. Grimm, l’enfant a appris déjà « que les Français sont les puissans et dangereux voisins de l’Allemagne. » On lui enseignera maintenant que les rois de ce pays n’ont jamais eu à cœur le bien de leurs peuples, ni d’autre règle de conduite que l’amour du luxe, la vanité ou leurs ambitions personnelles, que pendant des siècles ils opprimèrent leurs sujets, lesquels finirent par se révolter, que tout fut en désordre, en confusion, qu’incapables de se gouverner, les Français commirent des crimes effroyables, jusqu’au jour où un jeune Corse les sauva de leurs propres fureurs. Après avoir écouté, médité, savouré ce récit, le petit Prussien sentira son cœur se gonfler d’un légitime orgueil ; ce jeune pharisien regardera de haut le peuple de péagers dont le séparent les Vosges. Il dira : « Je te rends grâces, ô mon Dieu, de ce que nous ressemblons si peu à ces gens-là ! »

M. Grimm n’est pas au bout de ses peines. Si les rois de Prusse, à qui on ferait injure en les comparant à des rois de France, ont toujours été les tuteurs vigilans et les serviteurs dévoués de leur pays, s’ils n’ont jamais rien donné à leurs caprices, à leur humeur, à leurs préjugés, à leurs passions, s’ils n’ont jamais fourni aucun sujet de mécontentement à leurs peuples, si dans ce royaume béni de Dieu la nation a toujours été aussi raisonnable et aussi loyale que les souverains étaient appliqués à leurs devoirs, comment se fait-il qu’au mois de mars 1848, les rues de Berlin se soient couvertes de barricades et qu’une émeute triomphante ait contraint Frédéric-Guillaume IV à retirer ses troupes de sa capitale ? Quand les pères Loriquet rencontrent sur