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l’invasion des Barbares. On avait remarqué aussi que les écoliers, soit qu’on leur conte la guerre de 1870 ou Cendrillon et Peau d’Ane, tiennent beaucoup à ce qu’on commence par le commencement, et à cet égard nous sommes tous écoliers jusqu’à notre dernier jour. M. Grimm n’est pas pédant ; toute réflexion faite, il a renoncé à appliquer dans sa rigueur la méthode de l’enseignement à rebours. Qu’on lui pardonne son inconséquence ! C’est à une considération morale qu’il a sacrifié l’esprit de système et l’intraitable logique. Si en racontant la vie d’un grand homme à un petit Prussien, nous dit-il, la première chose que vous lui apprenez, c’est que ce grand homme est mort, vous l’attristerez, et il tirera de vos récits la mélancolique et décourageante conclusion que tout dans ce monde est périssable, éphémère, que rien ne commence que pour finir, que la mort seule est réelle. Que sait-on ? Il en inférera peut-être que l’empire allemand lui-même est destiné à finir un jour, que, partant, les peines que se donne un bon électeur pour le faire durer et prospérer ne sont que vent et fumée.

Pour parer à ce grave inconvénient, M. Grimm a divisé son cours d’histoire rétrograde en six périodes ou époques, dont chacune est racontée en commençant par le commencement. Supposons un collège composé de six classes, ou, pour mieux dire, de six divisions ; on y entre à neuf ans, on n’en sort que pour entrer à l’université. Qu’enseignera-t-on à l’enfant de neuf ans ? « On lui enseignera tout d’abord, nous dit M. Grimm, la puissance et la grandeur de sa patrie, de sa nation, de la maison impériale. On lui fera connaître notre situation entre des peuples qui sont toujours prêts à nous attaquer, ainsi que nos moyens de défense, nos frontières de terre et de mer, la force et l’effectif de nos armées et de nos flottes. »

On lui apprendra ensuite qu’il y eut, en 1870, une guerre terrible entre l’Allemagne et la France ; on lui racontera dans le plus grand détail jusqu’au moindre fait d’armes, les mouvemens des armées, les batailles, les victoires et leurs conséquences, après quoi on lui expliquera la constitution politique de l’empire allemand. De tout ce qui a précédé, pas un mot. L’histoire ne doit commencer pour lui que le jour où les armées allemandes franchirent la frontière française. S’il s’avisait de faire des questions, on lui répondrait qu’auparavant il ne se passait rien, que c’était la nuit, le chaos. Au demeurant, on l’accoutumera de bonne heure à réprimer ses indiscrètes curiosités : qui dit questionneur dit raisonneur, et les raisonneurs sont le fléau des empires. Pendant deux ans au moins, le petit Prussien est tenu de ne connaître que trois noms, ceux de Guillaume Ier, de l’empereur Frédéric et de l’empereur Guillaume II, et on s’arrangera pour qu’il se représente ces trois souverains « comme formant un tout idéal et indissoluble, ein ungetrenntes ideales Ganzes. » Mais pourquoi s’en tenir là ? serait-il impossible de lui persuader que ces trois personnages n’en