il vit le sang couler autour de lui et eut lui-même son chapeau renversé. Dès le lendemain, tout le royaume-uni discutait l’affaire. Les dépositaires de l’autorité haussaient les épaules : « Que leur voulait-on ? Ce qui avait tant ému M. Morley était un incident tout naturel, presque journalier. C’était l’usage. Depuis qu’il y avait une question irlandaise, le bâton des constables avait jeté à terre des milliers de chapeaux ; seulement aucun de ces chapeaux ne couvrait un crâne aussi précieux que celui de M. John Morley. » M. Balfour, le secrétaire pour l’Irlande, avec son aisance quelque peu effrontée, prit l’offensive et se moqua de son collègue : « Je l’aime mieux, dit-il, quand il écrit l’histoire que quand il la fait. » C’était toucher l’endroit sensible. M. Morley riposta avec dédain dans son discours du 7 octobre : « Je sais depuis longtemps que pour entrer dans la vie politique il faut ces trois choses : un cœur ardent, une tête froide et un épiderme épais. » Mis au défi comme historien, il relevait le gant et promettait d’écrire l’histoire d’Angleterre depuis la dernière chute de M. Gladstone jusqu’à la chute prochaine de lord Salisbury.
L’incident de Tipperary occupait encore toute la presse lorsque cet incident disparut tout à coup dans l’éclat d’un grand scandale privé et politique. La cour de divorce jugeait l’affaire O’Shea contre Parnell.
Les détails du « crime » de M. Parnell sont bien connus en France, ces sortes de procès étant à peu près les seules questions étrangères que le public parisien daigne étudier. Aujourd’hui, c’est M. Morley qu’il nous importe de ne pas perdre de vue en cette affaire ; j’en résume les phases pour dégager sa conduite.
Le 10 novembre une entrevue a lieu, tout amicale, entre M. Morley et M. Parnell pour concerter, en vue de la session d’automne, l’action de l’armée gladstonienne et de son aile irlandaise. Le plan est arrêté. Il y aurait de l’affectation à paraître ignorer le procès qui doit s’engager quelques jours plus tard. On en parle donc. « Ce jour-là, a dit depuis Parnell, M. Morley connaissait d’avance le dénoûment. » Et comment l’aurait-il connu alors que le héros de l’affaire, fort de son innocence, paraissait compter sur un acquittement ? Y avait-il un autre rôle pour M. Morley que d’acquiescer poliment à cette confiance, en exprimant, comme il le fit, l’espoir que « rien ne viendrait troubler ni interrompre l’œuvre politique de M. Parnell ? »
Le 15, le procès s’ouvre et dure deux journées. Suit une semaine de trouble, de fermentation, où l’opinion se cherche, ici nette et