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des deux, c’était Morley qui était le professeur. D’ailleurs, il faut bien l’avouer, la chambre des communes a beaucoup perdu de son éclat et de sa dignité depuis quelques années. Elle est bruyante, distraite, mal élevée, ricane ou bâille si la discussion s’élève, ne permet plus l’éloquence qu’au vieux Gladstone. Lui mort, l’art des Chatham, des Burke, des Fox, des Canning, des Beaconsfield aura vécu, à moins qu’il ne se réfugie à la chambre des lords, avec toutes les vieilles choses qui vont mourir.

La tâche était particulièrement difficile et ingrate pour M. Morley, défendant le Home rule bill et le Land purchase bill de 1886. Il n’avait pas à exposer des principes : son chef s’était acquitté de cette tâche avec une rare ampleur et un talent prestigieux lors de la première présentation des projets de loi. Il n’avait pas à entrer dans les détails des mesures proposées, la discussion des articles n’ayant lieu qu’entre la seconde et la troisième lecture, lorsque la chambre s’est formée en comité. Sa mission était d’insister sur les points oubliés ou dédaignés par M. Gladstone, de traiter les côtés nouveaux de la question mis en lumière par le débat ; enfin, d’esquisser quelques concessions et de prévenir, par tous les moyens compatibles avec la dignité du parti, le schisme qu’on sentait venir. Les deux lois étaient condamnées, on le savait. Ce que M. Morley demandait aux unionistes (on commençait à les appeler ainsi), c’était un verdict conditionnel, abstrait, purement platonique. Voter la seconde lecture, c’était voter le principe de l’autonomie législative en Irlande. Content de ce succès, le gouvernement donnait à entendre qu’il retirerait les lois et remettrait la question à l’étude. Après cet humble appel à la conciliation, l’orateur se redressait, pour conclure, en relevant un mot échappé à lord Salisbury : « Je ne m’inquiète guère, avait dit celui-ci, des paroles des gens qui sont sur leur lit de mort. » Le mot était rude, avec un côté répulsif ; partant, il était maladroit : M. Morley sut en profiter. Les mourans ont d’étranges clairvoyances, et le ministre, qu’on enterrait déjà, lança une prophétie. Le problème irlandais subsisterait après le vote, après les élections, après toutes les mesures qui ne donneraient pas une entière satisfaction au vœu du pays. Un jour viendrait où, bon gré mal gré, il faudrait aller jusqu’au bout. Fière péroraison où le penseur, au nom des rigoureuses lois de l’histoire, vengeait le politicien des complaisances et des abaissemens auxquels il lui avait fallu descendre.

Ni les avances, ni les prédictions de M. Morley n’eurent d’effet, et la seconde lecture fut rejetée à une grande majorité. Le hasard voulut que, par suite d’un engagement pris à l’avance, M. Morley eût à présider, le lendemain, au banquet du Club des quatre-vingts,