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événemens d’aujourd’hui avec les règles d’hier et d’appliquer à des cas nouveaux les vieilles méthodes. Il devenait l’homme des solutions pratiques pour crier à ses amis : « Il est temps, il faut céder. »

Il le cria donc, mais on ne l’écouta pas. Devenu membre de la chambre des communes, il proposa, en novembre 1885, d’amender le crimes act qui plaçait l’Irlande dans une sorte d’état de siège. Cet amendement ne fut pas voté. Toujours il se heurtait au même argument : on lui objectait ces violences populaires qui, suivant lui, prouvaient, au contraire, l’impuissance des mesures coercitives. Chose étrange, M. Chamberlain lui-même, depuis que Forster était démoli, se refroidissait pour l’Irlande, devenait sceptique, presque indifférent ; son sourire, toujours si fin, d’athlète au repos avait des ambiguïtés inquiétantes. M. Morley éprouvait cette tristesse, qui ne va pas sans quelque secret et mélancolique plaisir, d’être seul de son avis.

Dans un de ses voyages en Irlande, il suivait à pied, pensif et sans compagnon, la grande allée tournante qui descend de la « Lodge » vice-royale vers Dublin, à travers les beaux arbres de Phœnix-Park. Il n’était pas loin de l’endroit où, quatre ans plus tôt, avait coulé le sang du plus généreux des hommes, de lord Frederick Cavendish, cet héroïque ami de l’Irlande que des mains irlandaises ont assassiné. Ses pensées devaient être amères. Sans doute il songeait aux colères d’en bas et aux préjugés d’en haut, à la passion, à la routine, à la férocité, à la sottise, à tant d’ennemis ligués contre le bien. À ce moment, il rencontra M. Healy.

— Vous venez de là-haut, de cette caverne ? demanda le lieutenant de Parnell en étendant le bras, avec un sourire haineux, vers la maison du vice-roi.

— Oui, répondit M. Morley, et je n’y remettrai jamais les pieds.

Quelques mois plus tard, il y rentrait en qualité de ministre, avec la mission de préparer une grande révolution et de défaire l’œuvre de William Pitt.


IV

M. Gladstone fut-il amené, comme M. Morley, à changer d’avis sur la question irlandaise par une longue série d’observations patientes et désintéressées ? Le jeune écrivain, nouveau-venu dans l’enceinte parlementaire, eut-il l’honneur de convertir son illustre chef ! Ou ne fut-ce là qu’un coup de tactique, destiné à ruiner les plans secrets des chefs conservateurs, une gigantesque