Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« s’engagent, en entrant dans la vie, à ne plus chercher, » et qui, « pour assurer leur existence matérielle, font le pacte de marcher à travers le monde masqués et bâillonnés. » Il est bon que, de temps à autre, ceux qui ne veulent pas penser, ceux qui jouent avec les mots et trichent avec leur entendement soient invités à choisir entre le oui et le non. — Mais si l’on écoute M. Morley, les églises seront vides aujourd’hui même ! — Qu’elles se vident donc, et, dès demain, elles seront remplies d’une autre race d’hommes dignes de recueillir la Parole des lèvres mêmes de Paul ou d’Augustin !

Bien peu de gens osèrent approuver On compromise. En revanche, les écrits politico-historiques de M. Morley ont obtenu un accueil respectueux et sympathique. Il s’est occupé de Burke deux fois, en 1869 et en 1878. La première étude est une dissertation analytique et critique ; la seconde, qui est plutôt une biographie, fait partie de la fameuse série des Hommes de lettres anglais, dont il a été le promoteur. En 1889, il a donné Walpole à une autre collection qui paraît également destinée au succès et qui a pour titre général Douze hommes d’État anglais. Composés à dix années d’intervalle, ces trois écrits ne trahissent pas de divergence sensible entre la pensée du jeune homme et celle de l’homme mûr. On noterait seulement chez l’un plus de confiance dans la vertu des principes, chez l’autre une connaissance plus profonde, plus minutieuse des détails du gouvernement.

Le Burke et le Walpole de M. Morley mériteraient d’être étudiés à loisir, comme des leçons de science politique et des œuvres d’art. On admirerait comme l’auteur sait ce beau métier de faiseur de livres dont se mêlent aujourd’hui tant d’incapables. On louerait ce goût, ou plutôt ce dégoût intellectuel qui ne laisse jamais tomber une banalité, cette étude parfaite du sujet, du temps et de tous les faits sociaux qui s’y rapportent, ces touches délicates qui restituent l’homme intime, ces mots qui peignent ou qui jugent, ces portraits qui, en deux lignes, font voir l’âme et le visage, cette subtile impartialité qui, dans un même acte, sépare le bien et le mal, les intentions et les résultats, approuve, par exemple, la paix d’Utrecht en flétrissant Bolingbroke qui l’a faite, ou méprise l’ignoble Wilkes en condamnant le parlement qui l’a injustement frappé.

Il n’y a point de hasard dans la vie littéraire et politique de M. Morley. Ce n’est donc pas sans réflexion qu’il a choisi Walpole pour sujet après Burke. Bien qu’ils appartiennent au même parti, ces deux personnages semblent aux deux pôles de la politique. L’un est un habile manieur d’hommes et un grand homme d’affaires. Pour le faire comprendre aux lecteurs français, peut-être faut-il leur dire que Walpole est essentiellement « bourgeois, » si le mot