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III

Quant au profit qu’il avait tiré lui-même de ces études, on le devine aisément. De tant d’idées analysées, critiquées, jugées a priori ou a posteriori, dans leur principe philosophique ou dans leurs conséquences historiques, il lui restait un certain nombre de notions acquises, faits d’expérience, probabilités plus ou moins hautes, vérités et demi-vérités, laissant entre elles des contradictions et des lacunes, mais point de système. M. Morley l’avouait, et c’était là son originalité parmi les penseurs. En effet, le seul système, la véritable explication du monde, c’est la Science, laquelle est toujours en formation et en progrès. Nul de nous ne connaîtra la Science totale et définitive. L’homme est fait pour chercher, et le jour où il aura trouvé, il n’aura plus qu’à disparaître.

Cette conception de la vie et de la science produit chez certains une disposition à la mollesse, à l’indifférence, à l’abstention : « A quoi bon l’effort, puisque le chemin est si rude et la vérité si loin ! Autant habiter la vieille maison bâtie d’erreurs et meublée de préjugés ! Rendons-la confortable pour nous et pour nos enfans ! » M. Morley ne l’entendait pas ainsi. Ce monde n’était qu’une immense ébauche, un gigantesque pis-aller : soit. Chaque génération n’en était pas moins tenue de faire une tentative pour l’améliorer. L’histoire humaine avec ses innombrables avortemens, les efforts en pure perte et les énergies gâchées qu’elle raconte, est bien loin d’avoir épuisé toutes les possibilités. Ce qui a été trouvé est imperceptible à côté de ce qui reste à découvrir ; ce qui a été fait n’est rien au regard de ce qui reste à faire. L’évolution n’est pas une cause, mais une loi, une loi qui s’accomplira sans nous et même contre nous, mais qui s’accomplira mieux et plus vite si nous lui donnons notre adhésion spontanée, notre concours intelligent et enthousiaste. Travaillons donc à notre double tâche : agrandir le champ de la connaissance et rendre meilleur le sort de l’homme. Deux tâches connexes : car toute conquête de l’entendement est une extension de la vie, un progrès social, si le philosophe et le législateur savent se mettre d’accord. C’est pour leur imposer cet accord et en dicter les termes précis que M. Morley écrivit le plus hardi, le plus significatif, mais le plus contesté de ses livres : On compromise.

Ce livre a pour point de départ les études sur le XVIIIe siècle français que nous venons de passer en revue. Un siècle et un autre demi-siècle ont passé depuis Voltaire et l’Encyclopédie ; M. Morley s’étonne de trouver encore debout l’optimisme chrétien (car il continue à ne pas s’apercevoir que le christianisme est