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condition de la stabilité de toute administration ; il l’exigea impérieusement. Il décima ses compétiteurs ; il châtia impitoyablement quiconque méconnaissait son autorité. Le pays abandonné, depuis longues années, aux exactions de maîtres avides et nombreux, se livrant entre eux à des luttes meurtrières, connut, dès lors, une sécurité absolue. Indigènes et étrangers, chrétiens et musulmans purent, en toute tranquillité, circuler des bords de la Méditerranée aux Cataractes, et vaquer librement à leurs affaires ; bienfait immense, dont ils avaient été sevrés pendant une longue période. Ce résultat obtenu, il entreprit, pour consolider sa naissante puissance, d’organiser les services publics et de créer une force armée. Mais pour pourvoir à toutes les exigences d’une administration qu’il voulait durable et prospère, il lui fallait des ressources considérables. Il les exigea du pays lui-même, et souvent à l’aide de mesures implacables. Il usa de ces moyens pour contraindre les populations rurales à une plus large et plus intelligente exploitation de la terre. Il favorisa les anciennes cultures, il en introduisit de nouvelles, celle du coton notamment. Il rétablit d’anciens canaux qui s’étaient comblés sous l’imprévoyante administration de ses prédécesseurs ; il en fit creuser de plus importans, parmi lesquels celui qui relie encore Alexandrie au Nil. Des terres incultes, d’une immense étendue, devenues ainsi accessibles aux eaux généreuses du grand fleuve, purent être aisément exploitées. Il eut recours à la corvée, la plus cruelle des impositions que l’on puisse infliger à un peuple, surtout quand on la pratique sans prévoyance et sans modération. Mais il atteignit son but ; il imprima à l’agriculture, cette opulente nourricière de la vallée du Nil, un prodigieux développement. La fécondité du sol récompensa abondamment ses efforts. Plus tard, et pour mieux assurer le succès de son œuvre, il institua le service des travaux publics sous la direction de M. Linant, l’un des plus vaillans parmi les plus anciens serviteurs qu’il a empruntés à notre pays.

Il ne suffit pas de produire, il faut vendre. Les violences et la cupidité des mamelucks avaient éloigné les acheteurs des marchés égyptiens ; Méhémet-Ali en rouvrit l’accès aux commerçans de toute origine et facilita l’établissement de nouveaux comptoirs. Sa vigilance leur garantissait la sécurité des personnes et celle des transactions, et l’on vit bientôt surgir une colonie européenne de plus en plus florissante, qui se constitua l’intermédiaire entre l’Egypte et tous les ports de notre continent. S’élevant sans cesse, les exportations, infimes avant lui, livrées aux levantins, ne comprenant guère que quelques produits de l’intérieur de l’Afrique ou de l’Arabie, prirent une extension qui fit bientôt du port d’Alexandrie la plus importante parmi toutes les échelles du Levant.