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avec la valeur présente de l’argent » pourrait aussi être employé par tous les débiteurs vis-à-vis de leurs créanciers et notamment par les emprunteurs sur hypothèques vis-à-vis de leurs prêteurs. L’accueil que les tribunaux feraient à ce système n’est pas douteux ; mais il paraît que notre gouvernement est au-dessus des lois et de l’équité. Quand Louis XIV retranchait un quartier des rentes, il pouvait au moins invoquer les besoins urgens de l’État.

Nous pourrions nous en tenir là sur le projet de la commission si celle-ci, au dernier moment et avec une précipitation singulière, n’avait jugé à propos de s’approprier et d’incorporer au budget deux projets de loi émanés, l’un de l’initiative individuelle, l’autre du ministre des finances. La proposition de M. Brisson, que l’on qualifie pompeusement et improprement de réforme judiciaire, a pour objet de supprimer ou d’alléger les droits de timbre et d’enregistrement qui frappent certaines catégories d’actes de procédure et de créer une taxe nouvelle, dite des frais de justice, donnant ainsi un démenti à la maxime que la justice est gratuite en France. Elle l’est, en effet, mais l’esprit de fiscalité, stimulé par les nécessités financières, a assujetti toutes les productions à faire en justice à des droits de timbre et d’enregistrement et à des droits de greffe exorbitans. Un Anglais, condamné à une amende de 25 francs, tire de sa poche une guinée, la dépose sur le bureau du juge et s’en va paisiblement avec la quittance que le greffier du juge lui a délivrée séance tenante et sans frais. Un Français condamné à 1 franc d’amende pour contravention à un règlement de police n’a pas le droit de s’acquitter, il doit attendre trois ou quatre semaines, jusqu’à ce qu’on l’appelle au greffe où il devra verser 1 franc pour le principal et 14 fr. 75 pour les accessoires de la condamnation. Pour les contestations entre particuliers, le coût de la procédure n’est pas moins démesuré par rapport à l’objet du litige. Bien des voix se sont élevées depuis longtemps contre un pareil état de choses : on a toujours répondu au nom du gouvernement que le timbre et l’enregistrement étaient deux des principales sources du revenu public et que les besoins du trésor ne permettaient pas d’en affaiblir le produit : la réforme sollicitée devait donc être ajournée.

Ce n’est pas cette réforme que M. Brisson et la chambre entreprennent d’accomplir. S’emparant de ce fait que le rapport entre le coût de la procédure et l’objet du litige devient plus faible à mesure que le litige croît en importance, on propose de rétablir ce qu’on appelle la proportionnalité. Les petits procès coûteront moins par suite de la suppression de certaines formalités coûteuses ; en revanche, pour les litiges de quelque importance, la nouvelle taxe des frais de justice imposera pour l’introduction de l’instance et