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Quand cette gaîté provocante se donnait carrière, le prince d’Orange n’avait pas seulement franchi le Rhin ; ce qui était infiniment plus grave, il venait de franchir la Meuse. Ce qu’on eût pu, au dire du duc d’Albe, attendre à peine « d’une troupe d’oies sauvages, » il l’avait accompli. Il avait traversé ce large fleuve à gué, prenant exemple des soldats de César et de ceux d’Alexandre, opposant sa cavalerie comme une estacade au courant, et procurant ainsi à son infanterie un passage relativement facile à travers le flot divisé[1]. Cette manœuvre audacieuse introduisait Orange, avec une armée numériquement supérieure à celle du duc d’Albe, au cœur des Pays-Bas. Si les villes qu’il appelait à la liberté eussent osé obéir à leur inclination, c’en était fait, dans une seule campagne, de la domination espagnole. Pas une ville ne se sentit ce courage. Toutes laissèrent passer le prince d’Orange sous leurs murailles, sans se hasarder à lui ouvrir leurs portes. On ne chantait plus ; on tremblait. Le duc d’Albe avait froncé le sourcil.

Pendant ce temps, les fonds dont disposait Orange s’épuisaient et son armée, comme quelques mois plus tôt celle de Louis de Nassau, commençait à se mutiner. Le 20 octobre, un engagement eut lieu ; les troupes du prince n’y obtinrent pas l’avantage. Le résultat pourtant était sans importance. Ce n’était pas un engagement que cherchait Guillaume ; c’était une bataille, une bataille décisive. Albe s’obstinait à s’y dérober. Guillaume, avec ses caisses vides, ses soldats prêts à tourner leurs armes contre lui, dut se résigner à se rapprocher de la frontière de France. Albe l’observait de près. Le 17 novembre 1568, il put constater de ses propres yeux, en remplaçant Orange à Cateau-Cambrésis, qu’il ne restait plus un soldat rebelle dans les Pays-Bas. Guillaume, accompagné de ses deux frères, Louis et Henri, venait de se résoudre à passer sous les étendards du prince de Condé, seul moyen qu’eussent encore les princes néerlandais de continuer à combattre pour la cause des églises réformées. Sur ce nouveau terrain, ce ne sont pas non plus des victoires qui les attendent. Rome triomphe en France comme dans les Pays-Bas. Un parti politique ne survivrait pas à tant de défaites ; un parti religieux à l’existence plus tenace.


V

C’est au moment où l’on croirait tout perdu que le chant de Sainte-Aldegonde, le Wilhelmus lied, chant national qu’on dirait

  1. Voyez, dans la Revue du 1er février 1881, le Passage du Tigre avant la bataille d’Arbèles.