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soutenu par les sympathies des luthériens d’Allemagne et des calvinistes de France, déployait, à son tour, ses étendards. Il venait, suivant sa devise étrange, combattre « pour la loi, pour le roi, pour le peuple : Pro lege, rege, grege. » — A la fin de septembre, il avait réuni sous ses ordres 30,000 hommes, dont 9,000 cavaliers, — grosse armée pour l’époque. De telles facilités de recrutement montrent à quel point l’énergie d’un duc d’Albe, dans ces circonstances particulièrement délicates, était nécessaire. L’énergie cependant à elle seule n’eût pas suffi. Il y fallait aussi un rare déploiement d’habileté militaire, un ascendant incroyable sur des troupes plus habituées à fondre sur l’ennemi qu’à temporiser, une fermeté à l’épreuve de toutes les railleries aussi bien que de tous les murmures.

Les peuples ont généralement l’oubli facile, ceux surtout dans les veines desquels coule le sang des vieux Celtes. L’entrée en campagne de Guillaume d’Orange, les forces immenses que la crédulité publique lui prêtait, firent évanouir comme par enchantement le souvenir désastreux de la sanglante journée de Jemmingen. Les poètes, réduits par la consternation générale au silence, recouvrèrent la voix. L’orage s’est éloigné : le merle sort du buisson. Écoutez-le siffler ses airs joyeux. L’écho va les porter d’une extrémité à l’autre dans les provinces attentives :


Le prince d’Orange est entré en campagne,
Vive le gueux !
Tremblez, papistes,
Et cachez votre nez, vilains singes.
Grâce au prince et malgré tous les papistes du monde,
Nous restons gueux.

Ils se croyaient de force, ces papistes,
Vive le gueux !
A étouffer la doctrine de Dieu.
Ils sont si méchans !
Grâce au prince, en dépit de tous les papistes,
Nous restons gueux.

La doctrine de Dieu triomphera,
Vive le gueux !
Le dieu des papistes doit périr.
Entendez notre cri de guerre :
Grâce au prince, malgré les papistes et les moines,
Nous restons gueux.

Ils ont eu beau tromper tant de gens simples,
Vive le gueux !
Répandre tant de mensonges,
Avoir recours à tant de trahisons :
Grâce au prince, malgré les papistes, singes sauvages,
Nous restons gueux.