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le tenait serré entre le fleuve et 12,000 de ses vétérans. Le vieux duc ne compromettait jamais rien. Il ne porta le coup décisif qu’après quatre heures d’escarmouches ; seulement quand il le porta, reflet fut foudroyant. Les Espagnols, assure-t-on, ne perdirent que 7 hommes : ils en massacrèrent 7,000. Pendant deux jours, on poursuivit à travers la campagne les fuyards dispersés. « Il n’y eut, fait remarquer avec une douce satisfaction Mendoza[1], soldat ni goujat espagnol qui n’eût dans ces deux journées sa part de la victoire, pas un qui ne trouvât l’occasion de blesser, de tuer ou de brûler un rebelle. » La satisfaction fut donc complète. Le duc d’Albe s’aperçut cependant que le zèle des incendiaires les mènerait loin. Les terres du comte d’Arenberg lui-même étaient en feu. Les capitaines de justice reçurent l’ordre d’arrêter ces excès. Ils saisirent quelques goujats et les accrochèrent sans plus de façon au gibet.

Albe n’entendait pas qu’on manquât à la discipline dans son armée. Seul il voulait donner le signal du combat, le signal des incendies ou des exécutions. Nous le verrons tout à l’heure mettre en pratique, dans une campagne tenue à bon droit pour un chef-d’œuvre de stratégie, les conseils qu’il adressera trois ans plus tard à don Juan[2].

Les routes, les prairies étaient semées de cadavres. Une troupe assez considérable s’était réfugiée dans une des îles du fleuve. Albe l’envoya égorger par 400 arquebusiers à la tête desquels il plaça « le capitaine don Lope de Figueroa, M. de Hierge et M. de Billi. » Le peu qui se sauva de la malheureuse armée dut la vie aux embarcations que les gueux de mer, dont les vaisseaux ne pouvaient remonter jusqu’à Jemmingen, avaient envoyées porter des vivres et des munitions à Louis de Nassau. Les vaisseaux s’étaient retirés à Emden ; les scutes et les chaloupes restaient en arrière. Louis de Nassau put gagner à la nage une de ces barques et se faire transporter sur la rive allemande de l’Ems. Là il ne comptait pas renoncer à ses projets, il voulait guetter au contraire la première occasion favorable pour reprendre les hostilités. Cette occasion ne pouvait se faire longtemps attendre : le protestantisme tout entier commençait à s’apercevoir que c’était sa querelle, bien plus encore que celle des Néerlandais, qui allait se vider dans les Pays-Bas.


IV

Albe ne jugeait plus le comte Louis de Nassau à craindre ; Orange, plus que jamais, demandait à être surveillé. Le 31 août 1568, un mois et demi après le combat de Jemmingen, ce prince,

  1. Mendoza était un des plus vaillans capitaines de l’armée espagnole. Il nous a transmis dans un ouvrage plein de verve, — Guerras de los payses baxos, — le récit d’événemens auxquels il avait pris une part fort importante et fort active.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er décembre 1885, un Amiral de vingt-quatre ans.