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avec les troupes qu’il amenait pour prendre part au combat et qui n’avaient pu que recueillir les fuyards échappés à la poursuite des cavaliers de Nassau. Le comte Louis dressa son camp sous les murs de Groningue, demandant vainement à ses partisans secrets des subsides pour payer ses troupes et ne sachant déjà plus par quel moyen il pourrait retenir sous ses drapeaux une armée à laquelle il n’avait à promettre ni solde, ni pillage. De grandes causes, d’importantes questions morales étaient en jeu ; les soldats de Nassau en tenaient peu de compte. Ce qu’ils voulaient, ce qu’ils réclamaient à grands cris, forts de leur bon droit, indignés des subterfuges dont on les leurrait, c’était la stricte exécution des conditions auxquelles ils avaient loué leurs services. Le comte Louis n’était à leurs yeux qu’un débiteur infidèle.

Sur la rive droite du Rhin où il s’était posté, le prince d’Orange se voyait arrêté par des embarras analogues. Des deux victoires remportées, l’une dans la plaine de Groningue, l’autre sur la place du marché de Bruxelles, la plus fructueuse, la plus efficace, demeurait encore celle qui n’avait demandé qu’un double arrêt de mort et l’épée du bourreau. Sourd à l’appel du capitaine victorieux, le pays ne prêtait l’oreille qu’aux menaces du juge sans pitié. Il frémissait intérieurement peut-être ; il ne bougeait pas.

Cette soumission muette ne suffisait pas au duc d’Albe. Le duc voulait balayer l’invasion et lui infliger une leçon qui lui ôtât, pour quelque temps du moins, l’envie de reparaître. Le prestige des armes espagnoles avait souffert ; il importait de le rétablir promptement. Le 10 juillet 1568, 15,000 hommes d’élite étaient réunis à Deventer sur l’Yssel. Le duc d’Albe vint en prendre en personne le commandement. Le 14 juillet, il allait camper à 3 lieues de Groningue. Le comte Louis se trouvait dans de déplorables conditions pour accepter la bataille. Il n’avait pas le choix cependant. Il lui fallait mener ses troupes sur-le-champ au combat ou les laisser se débander. Il prit le parti le plus hardi sans vouloir s’avouer qu’il prenait un parti désespéré. Le prince d’Orange a été vaillamment secondé par ses frères ; il l’a surtout été par le comte Louis, aussi noble cœur que vigoureux soldat.

Un premier engagement coûta au comte Louis un millier d’hommes. C’eût été le moment de repasser l’Ems avec ce qui lui restait. Il ne put s’y résigner, n’en trouva peut-être pas non plus l’occasion, et fila le long du fleuve dans l’intention probable de chercher un gué ou de rassembler un nombre de barques suffisant. Après cinq jours de marche, il dut s’arrêter à Jemmingen[1]. Albe

  1. Jemmingen ou Jemguin, sur les bords de l’Ems, à l’est du Dollaert ou Dollard (voyez la carte de MM. Vivien de Saint-Martin et Fr. Schrader).