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Hollande méridionale, au contraire, le Brabant, la Zélande, les deux Flandres, le Hainaut et Namur, restaient encore à l’abri de ses coups, à l’abri également des irruptions françaises. La Meuse, comme un vaste rempart, embrassait toute cette portion du territoire néerlandais dans le cercle protecteur qu’elle décrit de Namur à Gorcum[1]. De ce côté, il est vrai, Orange se montrait menaçant. Seulement, grâce à l’obstacle d’un fleuve difficile à franchir, il fallait peu de forces pour tenir Orange en respect. Ce n’était ni à l’est, ni au sud qu’était pour la domination espagnole le danger sérieux ; tournez-vous vers le nord, vous verrez le péril se dessiner sous l’aspect le plus inquiétant. Si les provinces septentrionales se déclaraient en faveur de Louis de Nassau, Albe aurait, avant d’avoir pu seulement tirer l’épée, près de la moitié des Pays-Bas à reconquérir.

Ce gras pays, fait en majeure partie, grâce à l’apport séculaire de nos fleuves, de bonne terre de France, ce pays sur lequel devait se poser un jour la griffe impériale comme sur un domaine sujet à revendication, n’est qu’une vaste prairie là où il n’est pas un marais. Il s’étend, sans ondulations sensibles, jusqu’à la Mer du Nord, coupé à chaque pas de ruisseaux, de canaux, de fossés. L’océan germanique, au cours du XIIe et du XIIIe siècle, y a pratiqué une large brèche. Engloutissant sous ses flots des centaines de villages frisons, allant rejoindre d’inondation en inondation l’ancien lac Flevo, il couvrit alors un espace de près de seize mille kilomètres carrés et donna naissance à la mer intérieure, si connue sous le nom de Zuyderzée. Quand on étudie sur la carte ce pays découvert, on serait tenté de croire qu’une armée victorieuse trouvera pour l’envahir autant de facilités qu’en a rencontrées la mer. On se tromperait étrangement. A défaut d’arrêts naturels, l’art a, de bonne heure, dans cette contrée plate, établi une longue chaîne de points de résistance. Les pirates normands ont les premiers appris aux habitans des Pays-Bas la nécessité de se ménager des refuges contre leurs descentes. Au temps de Charles le Téméraire, Philippe de Commines comptait dans les Pays-Bas 208 villes entourées de murailles et 60 forteresses.

Ni Louis de Nassau, ni Guillaume d’Orange ne possédaient encore une seule de ces places fortes. Aussi longtemps que semblable conquête n’aurait pas été accomplie, leurs armées ne seraient que des bandes errantes manquant absolument de base d’opérations. La victoire remportée à Heiligerlee semblait devoir ouvrir à Louis de Nassau les portes de Groningue. Malheureusement, la place était trop bien gardée. Le comte de Meghem s’y était jeté

  1. Gorcum ou Gorinchem sur la carte de MM. Vivien de Saint-Martin et Fr. Schrader.