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Philippe II, qu’il avait accompagné en Espagne au mois d’août 1559, le tenait, dès cette époque, pour suspect. A la veille de rentrer dans les Pays-Bas, Horn commit l’imprudence de se faire, près du souverain secrètement irrité, l’écho importun et indiscret des plaintes que la noblesse flamande ne cessait de proférer contre Granvelle. « Qu’avez-vous donc à reprocher au cardinal ? s’écria Philippe avec impatience, vous me parlez toujours de cet homme à mots couverts ; vous n’articulez aucun fait[1]. »

La colère d’un roi d’Espagne était, au XVIe siècle, un orage d’autant plus à craindre que la cime menacée dominait de plus haut les autres. L’amiral se retira, si troublé, assure-t-on, par cette scène violente qu’il ne pouvait plus retrouver pour sortir la porte par laquelle il était entré. La leçon néanmoins ne lui profita guère. De retour à Bruxelles, il se laissa de nouveau entraîner dans le camp d’une opposition tracassière. Il appartenait à cette classe d’esprits chagrins, qui ne saurait jamais perdre l’habitude du murmure. La régente, sans doute exagérait beaucoup, quand elle l’accusait « de pousser au meurtre de tous les prêtres et de tous les moines. » S’il n’y poussait pas, il y conduisait au moins le peuple, à son insu. Le peuple s’arrête rarement à mi-chemin. La place du malheureux comte était donc marquée d’avance sur la liste des proscrits, le jour où Philippe se déciderait enfin à entrer franchement dans la voie des rigueurs. Il n’existait pas au XVIe siècle un seul souverain qui pût comprendre ce qu’on est convenu d’appeler en Angleterre, trois cents ans plus tard, « l’opposition de la reine. » Soumis ou rebelle, il n’y avait pas de milieu. Ce n’était pas à Philippe qu’il fallait reprocher d’avoir introduit cette doctrine dans la politique. L’époque tout entière en était imbue. Le comte de Horn était, comme par miracle, sorti vivant de l’antre du lion. Son frère, le comte de Montigny, l’y suivit à quelques années d’intervalle : il n’en revint pas.

Egmont était un mécontent de bien autre portée que Horn et Montigny. Grande figure, faible tête, voilà l’homme que l’histoire nous montre. La politique ne fait que bien rarement des rencontres heureuses sur les champs de bataille. Il y a des qualités qui s’excluent. Si la révolution, déjà latente en 1559, eût été appelée à se donner un chef apparent, c’est incontestablement vers Egmont qu’elle eût à l’instant couru. Sa dernière victoire avait fait du héros de Gravelines l’orgueil des Flandres. Idole du soldat, jeune encore, ouvert, chevaleresque, magnifique, étourdi et brillant, il était de ces preux qu’une foule armée aime à élever sur le pavois. On peut croire que

  1. Voyez la Guerre de Chypre et la Bataille de Lépante, t. Ier, p. 156, 157 et 158 ; Plon et Nourrit.