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Tolède, Albe ne pouvait s’abaisser à envier la naissance ou la gloire d’un comte d’Egmont[1]. L’arrestation du comte et celle de l’amiral de Horn furent un acte purement politique, un acte prémédité de longue date entre le duc d’Albe et Philippe II. Les événemens qui se précipitaient n’allaient pas tarder à la justifier.

Le comte Louis de Nassau, nous l’avons dit, était entré en Frise dans les premiers jours du mois de mai de l’année 1568[2]. Bientôt, des bords lointains du Zuyderzée, un cri de triomphe arrive jusqu’à Bruxelles. D’écho en écho, les chambres de rhétorique se chargent de le propager dans les Flandres.

« Le Seigneur a daigné assister son peuple dans le pays de Groningue. Entonnons en son honneur un chant de reconnaissance. Le 23 mai, vers six heures du soir, une grande clameur annonça la grâce de Dieu à Heiligerlee et aux environs. Le comte Louis est sorti de Dam. Son frère Adolphe l’accompagne ; le comte Joost Schouwenburch aussi, avec maint lansquenet intrépide. Fuiraient-ils, par hasard ? Non ! ils ne fuient pas ; ils cherchent un champ de bataille plus convenable. Ce champ de bataille, ils l’ont trouvé devant Winschoten. Leur armée s’est divisée en cinq corps. C’est Dieu même qui les inspire. Les cavaliers garderont la grande route, les Wallons occuperont un château d’où ils pourront tirer à couvert. Un petit groupe s’est posté près du gibet ; les double-soldiers s’embusquent sur la hauteur, du côté de l’ouest ; les Allemands se sont rangés le long du marais. La plupart ont pour arme un long fusil espagnol conquis sur l’ennemi. Le comte d’Arenberg, emporté par son ardeur, pousse son cheval en avant. Il entraîne à sa suite dix compagnies de cruels Espagnols. Ces Espagnols pourraient-ils permettre que cinq compagnies de Frise les devancent ? « Nous écraserons, disaient-ils, cette chétive troupe sous nos pieds. » Menottes, chaînes, cordes, ils avaient tout préparé pour emmener leurs prisonniers. « Pendez, assommez ! » tel était leur cri de guerre. Mais à peine sont-ils sortis du bois que beaucoup commencent à courber la tête.

« Arenberg, le premier, s’est montré assis sur son cheval[3]. L’artillerie espagnole se met en bataille. Elle éclate : le peuple de Nassau se jette à terre. Les cavaliers occupent une position qui les protège ; les double-soldiers eux-mêmes ne font que des pertes peu sensibles. Le tir des Espagnols est précipité ; les soldats de

  1. Voyez à ce sujet les Corsaires barbaresques, p. 30, 31, 39, 40, 48, 57, 58, 75, 224, 239, 240, 241, 260, 305, 306, 307 et les notes 26 et 27 à l’appendice p. 347 et 348. Voyez aussi la Guerre de Chypre et la Bataille de Lépante, t. Ier, préface, p. VII, IX. et XVII ; Plon et Nourrit, éditeurs.
  2. Voyez la Revue du 15 septembre.
  3. Arenberg, le 23 mai, était en proie à un violent accès de goutte.