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morale, de la science allemande. Et encore fallait-il distinguer. Vertu, morale, science ne pouvaient se dire vraiment allemandes qu’autant qu’elles étaient agréées par le tout-puissant chancelier. L’économiste Schulze-Delitzch, par exemple, était bien Allemand, mais sa science ne plaisait pas, ou, pour parler plus exactement, ne plaisait plus au prince de Bismarck. Elle était infectée des doctrines de l’école de Manchester et ne méritait nulle attention. La bonne, la vraie science économique allemande était celle que les socialistes de la chaire avaient tirée de leur propre fond, et c’était seulement dans leurs écrits qu’elle brillait de toute sa gloire. Parler encore d’un auteur anglais ou français était devenu le fait d’un esprit étroit, arriéré, cristallisé dans une vaine science, comme disait M. Luzzatti. Les seuls auteurs allemands étaient dignes de créance, et c’est en Allemagne même qu’allèrent alors les étudier tous nos jeunes économistes qui en eurent les moyens. Ils en revinrent imbus de principes autoritaires ; rêvant de les appliquer à l’Italie, sans tenir compte des profondes différences qui existent entre les deux pays. Le mal n’aurait pas été grand s’il s’était borné aux économistes, mais il atteignit les hommes d’État, et bientôt il étendit son influence sur toutes les classes de la société.

L’unité de l’Italie s’était faite en détruisant tous les gouvernemens de la péninsule, sauf un : celui du Piémont, dont les institutions s’étaient ainsi trouvées par la force des choses étendues à tout le pays.

Ces institutions n’étaient pas indigènes. On les avait copiées sur le système parlementaire anglais, et pas même directement, mais sur une autre copie qui en avait été faite en France au temps du règne de Louis-Philippe. Le vrai problème à résoudre pour les hommes d’État italiens était donc de trouver le moyen d’adapter ces institutions étrangères aux mœurs, aux coutumes et à la constitution naturelle du pays. Au lieu de cela, s’éloignant de plus en plus de ce but, et passant d’une imitation à une autre, l’on en arrivait à superposer le système autoritaire allemand au système parlementaire anglais, où, brochant sur le tout, l’on avait une centralisation copiée sur la centralisation française.

De cet assemblage monstrueux rien de bon ne pouvait résulter. S’il est un point bien acquis maintenant à la science de la politique, c’est qu’un des pires gouvernemens qu’on puisse avoir, c’est une dictature parlementaire en possession des forces que donne la centralisation. L’Italie allait en faire la triste expérience.

Le parti de la droite s’était partagé entre deux chefs: Sella, qui avait toujours incliné à étendre l’intervention de l’État dans la vie économique de la nation ; Minghetti, qui, peut-être à cause du