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insultée et répète la vanterie téméraire de Lanval. Arthur condamne son chevalier à cette bizarre épreuve : à un jour fixé, le roi tiendra une grande cour. Que Lanval lasse comparaître son amie. Si, au jugement des barons, elle est moins belle que la reine, Lanval mourra. Au jour dit, comme Lanval n’attend aucun secours, — car la fée impitoyable n’est jamais revenue à lui, — et que déjà la cour assemblée va se séparer, l’on voit s’avancer deux demoiselles montées sur des palefrois. Tous s’accordent pour l’avouer : chacune d’elles est plus belle que la reine. — « Laquelle des deux, Lanval, est votre amie ? — Ce ne sont que ses servantes. » — Puis viennent sur des mulets d’Espagne deux autres jeunes filles plus belles que les précédentes : — « Laquelle est votre amie, en vérité ? — Ce ne sont que les chambrières de mon amie. » — Elle avance enfin elle-même sur un palefroi blanc, l’épervier au poing ; son corps est beau, sa hanche basse, son col plus blanc que neige sur branche, ses sourcils bruns, ses cheveux crêpelés, blonds et reluisant au soleil mieux que des fils d’or : — « Par foi ! s’écrie Lanval, voilà mon amie ! » — Elle salue le roi, laisse tomber son manteau pour que les juges admirent sa beauté, et quand ils ont jugé, Lanval s’élance en croupe derrière elle. Elle l’emporte en Avallon, vers l’heureux pays des Vivans.

On peut dire, — et c’est là la troisième et remarquable nouveauté de ces contes bretons, — qu’avec eux naît, à proprement parler, la littérature. Roland peut être chanté sur une place publique, ou dans le tumulte d’une salle de festin ; mais non Éliduc ou Perceval : ils sont faits pour la lecture recueillie. Au bruyant jongleur de geste succède le latinier, qui, dans les « chambres des dames, » où les vitraux versent une lumière atténuée, lit les contes bretons. Marie de France nous dit qu’elle a composé ses lais pour être lus, et lus en collection. C’est bien une femme qui devait, l’une des premières, écrire ces légendes. Marie l’a fait avec charme, sans grand talent. Il faut le dire, sa valeur poétique est médiocre, et sa maîtresse forme est, auprès d’une certaine grâce sobre, la sécheresse d’imagination. Sent-elle toujours l’intérêt des récits qu’elle répète ? On en pourrait douter ; car elle prend de toutes mains, sans choix : l’un de ses contes, Équitan, est un vilain fait-divers, qui serait répugnant, s’il était moins sot. Elle raconte les scènes les plus violentes ou les plus tendres, du même ton placide, sans en paraître touchée : c’est d’ailleurs une garantie que ses poèmes doivent être infiniment proches des originaux, de ces contes oraux qu’elle a reçus des jongleurs bretons ; elle est trop peu artiste, trop peu imaginative pour y avoir beaucoup ajouté. Elle aligne avec calme ses petits octosyllabes, dont les rimes plates