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lais gallois[1]. C’est donc l’Angleterre qui serait le foyer premier de ces légendes. Plus tard seulement, « la matière de Bretagne a passé d’Angleterre sur le continent, soit directement par les chanteurs et jongleurs bretons, soit par l’intermédiaire des conteurs anglo-normands, soit déjà mise en vers dans les lais et les poèmes anglo-normands. » Le premier en France, un poète de mérite, Chrétien de Troyes, aurait adopté ces légendes venues d’outre-mer, les aurait revêtues d’un costume plus brillant et plus chevaleresque, et les aurait lancées par le vaste monde.

Or, voici que, dans ces tout derniers temps, cette théorie a été violemment battue en brèche. Plusieurs savans se sont conjurés pour n’en pas laisser un argument debout. Ils ne veulent pas qu’il soit encore parlé d’imaginaires conteurs gallois, ni d’hypothétiques romans anglo-normands. Pour eux, qui dit au moyen âge matière de Bretagne n’entend jamais dire matière celtique en général, ni galloise ou comique, mais toujours matière bretonne, de notre Bretagne armoricaine. Ces contes appartiennent aux Bretons de France, qui les ont directement transmis aux poètes de France. Or, tandis que l’école française attribue au pays de Galles l’origine de ces romans, c’est l’école allemande, menée par un savant celtisant, M. H. Zimmer, qui la revendique pour notre Bretagne française.

D’après M. Zimmer, les romans de la Table-Ronde nous représentent le développement que prit au cours du haut moyen âge l’épopée nationale transplantée en Gaule par les Bretons qui émigrèrent vers l’Armorique du Ve au VIe siècle de notre ère. Comme ils vécurent en rapports intimes et constans avec leurs voisins normands, ils leur transmirent aisément leurs légendes, — et cette transmission s’opéra par l’intermédiaire des habitans de la zone romanisée de l’Armorique, par les Bretons des anciens diocèses de Dol, de Saint-Malo, de Saint-Brieuc et de Vannes. Les contes bretons ont bien passé la Manche, mais dans un autre sens que l’imagine M. G. Paris. Ce sont des Bretons de France qui les ont portés dans les châteaux normands d’Angleterre, comme ils les colportaient d’ailleurs par les cours de Champagne ou d’Anjou.

Un autre savant allemand, M. Foerster, enchérit encore sur ces idées. Non-seulement ces légendes sont venues directement de

  1. Les plus anciens de ces poèmes anglo-normands sont perdus. Mais on pourrait, selon M. Gaston Paris, en reconstituer quelques-uns par la comparaison des romans de Chrétien de Troyes et des contes gallois connus sous le titre générique de Mabinogion, et qui, les uns et les autres, ne seraient que des remaniemens d’originaux anglo-normands. C’est la partie la plus fortement attaquée, et certes la plus hypothétique, du système de M. G. Paris.