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connaître la vie de Marie de France que par cette date et par ce nom. Mais, sans cette date et sans ce nom, aucune des remarques qui vont suivre ne serait possible.


II.

Quelle est l’origine des lais ? Marie nous le dit à mainte reprise : elle tenait la matière de ses contes des jongleurs bretons. Les lais font partie intégrante, et peut-être essentielle, de ce trésor des légendes celtiques dont le moyen âge devait s’éprendre jusqu’à y faire pénétrer toutes ses idées d’amour pudique et d’aventureux héroïsme. Ces lais étaient chantés : les jongleurs s’accompagnaient sur une petite harpe, la rote, cette même hrotta britanna que le poète Fortunat, au VIe siècle, avait entendue en Gaule à la cour des rois germains. C’est sans doute par leur musique que les lais charmèrent d’abord : quand la mode s’en mit, au XIIe siècle, ce fut un enchantement. Il n’est pas, dans nos vieux romans, une description de fête seigneuriale : mariage, couronnement, adoubement de jeunes chevaliers, où l’on n’entende sonner, auprès de la vielle des trouvères, la rote de Bretagne. Les poètes ne se lassent pas de nous dire la vertu consolante, la force d’oubli que recèlent « les doux lais des Bretons. » Ici, c’est le roi Anseïs de Carthage qui, triste, assis sur un lit d’argent,


Pour oublier son desconfortement,
Faisoit chanter le lai de Graëlent.


Là, c’est le bon géant Rainoart, celui-là même que Dante a placé dans son Paradis, qui s’est couché sur le rivage de la mer. Les fées l’y rencontrent et changent son heaume, qu’il a déposé auprès de lui, en un Breton, « qui doucement harpe le lai Guron, » et c’est aux sons de cette musique surnaturelle qu’elles transportent le héros endormi vers l’Éden celtique, dans l’île d’Avallon. — Dans le roman du roi Horn, les héros se passent la harpe de main en main, et, comme dans le combat des Minnesinger à la Wartbourg, chantent à tour de rôle. — L’un des premiers mérites de Tristan est aussi d’être habile musicien : c’est lui qui a appris à son amie Yseult « les bons lais de harpe ; » et, séparés, ils renouvellent, en chantant, le souvenir des heures chères. « Yseult est assise un jour en sa chambre et fait un triste lai d’amour. Elle dit comment Guron fut surpris et tué pour l’amour de la dame qu’il aimait par-dessus toute chose, et comment, par ruse, le comte