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plonge à des profondeurs que nous ne saurions atteindre, la psychologie devra de plus en plus substituer au problème des origines celui de la nature actuelle. Elle devra donc résoudre en ses derniers élémens la conscience que nous avons de notre individualité. Le sentiment du moi en effet, est un objet d’observation et d’expérience; il peut même, comme tout objet d’expérience, être soumis à l’expérimentation. De là les éclaircissemens déjà apportés à la psychologie contemporaine par les altérations spontanées ou artificielles de la conscience que nous avons décrites.

D’après toutes ces données, qu’est-ce que le moi pour la psychologie contemporaine? C’est une idée centrale avec l’impulsion centrale qui en est inséparable ; en d’autres termes, c’est une idée-force dominante. Les psychologues ont longtemps admis l’unité substantielle du moi, en se fondant sur cette forme toujours semblable où viennent se résumer les états de conscience : cogito, je pense. De nos jours, on voit là un effet d’optique, transportant à une « substance » imaginaire l’unité de cet acte intérieur qui est la pensée. quant à notre identité substantielle, comment la saisissons-nous, sinon par la permanence du souvenir? Mais le souvenir, pour une psychologie vraiment scientifique, n’est jamais qu’un phénomène présent, représentant un passé avec lequel vous le jugez lié et qui n’est plus. Dès lors, le souvenir ne peut démontrer l’identité substantielle de notre moi présent avec notre moi passé; il n’implique qu’une identité de forme et de fonction, qui peut être semblable à l’identité conservée par notre organisme dans le tourbillon incessant de la vie. L’arc-en-ciel d’une cascade reste immobile sous les mêmes rayons du soleil, malgré la chute perpétuelle des gouttes d’eau ; qui sait s’il n’en est pas de même de cet arc-en-ciel intérieur que nous appelons notre moi?

Enfin, nous attribuons à notre substance individuelle une activité spontanée et libre par laquelle il nous semble qu’elle se détache du tout, se met à part, devient un empire dans un empire. Mais où est cette initiative absolue, cette création ex nihilo qui n’aurait d’analogue que le Fiat de Jéhovah? Du côté du corps, tout mouvement est la continuation des mouvemens qui l’ont précédé; la force que nous déployons en remuant nos lèvres pour dire oui ou non, pour consentir ou refuser, résidait déjà d’une manière insensible dans notre cerveau : on aurait pu, dès notre naissance, y lire déjà le oui ou le non que nous prononçons aujourd’hui. Du côté de notre conscience, notre assentiment ou notre refus résulte d’inclinations et d’idées sans nombre : nous sommes aussi incapables de les analyser que nous le serions de mettre en équation les ondes cérébrales qui sont venues expirer sur notre langue et sur nos lèvres. Aussi, « se connaître soi-même, » dans son