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garantir la sécurité des étrangers; et la question pour les puissances de l’Occident est de savoir si elles ne doivent pas se charger elles-mêmes de la protection de leurs nationaux, comment elles peuvent assurer cette protection. C’est depuis quelques jours, à ce qu’il semble, un objet de délibération entre les cabinets de l’Europe.

A quelques nuances près, la nécessité pour toutes les puissances est la même; l’intérêt de sécurité est le même, la difficulté est d’aborder la question « de s’entendre sur des résolutions et une action communes. » Elle est d’autant plus délicate qu’on ne sait comment saisir cette situation, qu’en employant la coercition contre le gouvernement chinois, on risque de le livrer affaibli à des passions révolutionnaires qui le menacent peut-être lui-même, et qu’en voulant atténuer les dangers que courent les Européens, on peut s’exposer à les aggraver, au moins dans le premier moment. Le pire de tout, en effet, serait de provoquer par une intervention occidentale de nouveaux massacres, des déchaînemens instantanés de fureurs populaires, dont les étrangers seraient les victimes avant qu’on eût le temps de les secourir. On est intéressé à faire sentir au gouvernement chinois le poids de la puissance européenne pour la sauvegarde de nos nationaux; on n’est pas intéressé à précipiter le travail d’anarchie qui le menace, à prêter des armes aux sociétés secrètes qui pullulent dans l’empire. Cet état intérieur de la Chine est sans nul doute un des élémens du problème que les gouvernemens de l’Occident ont à résoudre ; mais il y a une autre difficulté qui n’est pas moins grave, c’est celle de s’entendre, de combiner toutes les volontés dans une action diplomatique et militaire concertée pour un intérêt commun. Dans quelle mesure les puissances européennes seraient-elles appelées à concourir à la démonstration ou à l’intervention qui pourrait être décidée, à laquelle les États-Unis eux-mêmes paraissent disposés à s’associer? Se bornerait-on à employer les marines étrangères ou bien irait-on jusqu’à un débarquement de forces militaires, et, dans ce cas, à quelle limite s’arrêterait-on? Comment seraient réglées la direction et la marche de cette campagne? Les questions délicates ne manquent pas.

Ce serait assurément dans tous les cas la plus dangereuse des tactiques de transporter sur le fleuve Jaune les rivalités, les défiances, les jalousies qui se retrouvent trop souvent dans la politique du vieux continent. On l’a essayé déjà. C’est le meilleur moyen de se préparer des mécomptes et peut-être d’aggraver encore la position des étrangers en Chine. Si l’on veut agir avec autorité, avec efficacité, il n’y a évidemment qu’une entente sérieuse et loyale qui puisse sauvegarder le prestige et les intérêts de l’Europe, faire en un mot œuvre de civilisation ou de préservation dans ces contrées de l’extrême Orient.

CH. DE MAZADE.