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être dans une phase de modération et de calme, — lorsque tout à coup, à Erfurt, à l’occasion des manœuvres du 4e corps saxon, il a éclaté ! Guillaume II a cru devoir remuer tous les souvenirs des guerres d’autrefois, de la bataille d’Iéna, de la revanche de 1813, faire appel aux passions belliqueuses des enfans de la Thuringe, Il y aurait certainement de la puérilité à ne pas voir que toute cette âpre véhémence est dirigée contre « l’ennemi commun : » il y aurait aussi quelque simplicité à trop s’émouvoir de ces boutades patriotiques et guerrières du banquet d’Erfurt. Oh! le singulier discours, qui pourrait prêter à une étude psychologique, si l’on n’était dans une situation où tout a sa gravité, où un Italien, naïvement féroce, appelait ces jours derniers l’étincelle qui devait mettre le feu au monde. Pour un souverain qui dispose de millions d’hommes et de la paix universelle, Guillaume II, en vérité, se laisse aller trop facilement à parler comme on parle dans une réunion publique, où l’on ne dispose heureusement de rien. Pour un jeune homme, le chef couronné de l’Allemagne nouvelle est un peu suranné et rétrograde. Il en est encore à 1814! Il a le langage des polémistes de la grande coalition et de l’émigration française ! Pour éviter de prononcer le nom de Napoléon, il se serait évertué à l’appeler le « parvenu corse, » le « conquérant corse. » Encore un peu, il l’eût appelé « l’ogre de Corse, » et il a cru voir partir d’Erfurt « le foudre vengeur qui l’a mis en pièces. » Qu’on ait cru nécessaire d’atténuer ce langage pour le public, soit; l’âpreté de la passion et du ressentiment reste toujours. Or c’est là justement la question : que signifient en ce moment, en pleine paix, ces violentes sorties qui n’ont d’autre excuse que d’être une improvisation et qu’on croit devoir corriger après coup?

Est-ce sous une pression d’instinct national que l’empereur Guillaume s’est laissé aller à ces emportemens de langage qui auraient pu ressembler à des défis, qui ont surpris l’Europe? L’Allemagne est sans doute facilement accessible aux excitations et prompte à s’émouvoir du moindre incident qui touche son orgueil et ses ambitions; elle ne se fait faute en toute occasion de témoigner son hostilité, ses défiances jalouses à l’égard de la France. Pour l’instant, l’Allemagne a d’autres affaires au moins aussi pressantes qui l’occupent, — et les mésaventures de sa politique coloniale en Afrique, et les agitations socialistes qui lui préparent peut-être une redoutable crise intérieure et le souci de son alimentation compromise par les sévères mesures douanières que le gouvernement russe a cru devoir adopter pour préserver sa propre population de la famine. Ce n’est pas le moment pour l’Allemagne de souhaiter et d’appeler la guerre. Est-ce pour répondre à des provocations venues de France que Guillaume II aurait essayé de remuer les passions belliqueuses et eu l’air de mettre la main sur son épée? Mais il est au contraire un fait avéré, c’est la stricte et parfaite