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humeur. Il tient à rester un de ces « pointus » du radicalisme dont l’idéal est la guerre dans le pays : c’est tout ce qu’il a appris ! mais il est heureusement bien clair que toute cette politique de division, d’exclusion va contre le courant universel, et les derniers efforts de l’esprit de secte n’ont d’autre résultat que de rendre plus sensible un fait qui domine tout à l’heure qu’il est, qui résume pour ainsi dire la moralité d’une situation nouvelle. Ce fait, c’est l’intime solidarité entre la politique extérieure qui vient de se dégager avec éclat et ce mouvement de pacification intérieure qui se dessine de plus en plus.

Au fond, tout est là aujourd’hui. On aurait beau se démener, faire de la politique de parti ou de coterie, de passion ou d’intrigue, pour essayer d’embarrasser les ministres qui voudront se laisser embarrasser : la réalité reste ce qu’elle est. Il y a un lien intime entre la position que la France a reconquise, qu’elle veut sans doute garder, et l’administration du pays, entre les desseins qu’on veut poursuivre à l’extérieur et ce qu’on fera à l’intérieur. Tout se tient dans les affaires humaines, tout a sa secrète et irrésistible logique. Il est évident que, si la république, qui a ses vingt ans de durée, qui est restée longtemps isolée, a fini par réussir à retrouver des alliés, à relever la France dans les conseils du monde, ce n’est pas par les souvenirs qu’elle réveille, par les guerres intestines qu’elle rappelle, par les traditions orageuses qui sont partout dans son histoire : ce n’est pas non plus par des excès de politique qui l’ont un instant compromise il y a deux ans et qui pèsent encore sur elle. Non, sûrement ce n’est pas pour le bon plaisir des radicaux, de M. le pasteur Dide, de M. Goblet et de M. Pochon que l’empereur de Russie et la reine Victoria ont donné droit de cité à la Marseillaise dans leurs banquets ! Si la république a réussi, c’est parce que, malgré tout, sur deux ou trois points essentiels, elle a su se plier aux conditions d’un régime régulier et aux obligations que lui créaient les malheurs du pays, être, en un mot, la république nouvelle de 1871-1891, non la république de 1793. Elle s’est défendue des propagandes qui lui auraient certainement fermé l’Europe et n’a cessé d’être prudente dans sa diplomatie. Elle a su, par-dessus tout, réaliser le premier des desseins, celui de reconstituer cette armée dont les dernières manœuvres ont offert le généreux spectacle, que M. le président de la république a pu justement appeler « une école d’abnégation, de dévoûment et de discipline nationale. » Elle a, somme toute, fini par inspirer cette idée qu’à travers les mobilités ministérielles, les contradictions des partis, et même les turbulences de sectes, il y avait toujours une France sur laquelle on pouvait compter. Et, qu’on le remarque bien, les derniers, les plus éclatans témoignages de la confiance rendue à notre nation ont précisément coïncidé avec les progrès de cette pacification intérieure qui est dans les discours, si elle n’est pas encore toujours dans les faits.