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temps la conscience de Jean XIX, dont le pontificat s’acheva sans trop de secousses, sauf, toutefois, le massacre traditionnel des Allemands par les Romains autour de Saint-Jean de Latran, le jour du couronnement de Conrad le Salique. En 1033, enfin, l’année de la grande famine, les comtes de Tusculum portèrent sur la chaire apostolique le neveu de Benoît VIII et de Jean XIX, Boniface IX, un enfant de douze ans, et l’Europe chrétienne crut que les temps prédits par le visionnaire de Patmos commençaient et que l’Antéchrist venait de coiffer la tiare.

« Il ne fit que piller et que tuer, » a écrit de lui l’un de ses successeurs, le grave Victor III. Quand il atteignit sa seizième année, le scandale de sa vie sembla si affreux que les capitaines de Rome jurèrent de l’étrangler à l’autel, au moment où il tiendrait Dieu dans ses mains impures. Mais l’éclipse de soleil rapportée par Glaber le sauva ; les conjurés, épouvantés, n’osèrent toucher au pape. Benoît s’enfuit à Crémone, près de l’empereur Conrad. Henri III le rétablit en 1038. Pendant six nouvelles années, il régna au Latran à la façon d’un sultan asiatique; il faillit même un jour abdiquer, pour épouser la fille d’un baron romain. Le peuple se souleva le 7 janvier 1044, le chassa de Rome et prit pour pape l’évêque de Sabine, Silvestre III. On crut trouver alors, dans l’oratoire de Benoît IX, les livres magiques qui lui servaient pour l’évocation du diable ou la séduction des femmes. Mais Silvestre ne dura que quarante-neuf jours. Benoît, à la tête d’une troupe de brigands, rentra au palais apostolique et commença son troisième règne, qui fut d’une année. Il abdiqua alors, par contrat signé avec son successeur, Grégoire VI, qui lui assurait, comme prix de la papauté, le denier de saint Pierre des Anglais. Grégoire était un riche curé d’une paroisse de Rome et passait pour simple d’esprit. Ce prêtre obscur, devenu par simonie le maître de l’Eglise, sut lire dans l’âme d’un moine qu’il s’attacha en qualité de chapelain, Hildebrand, et jamais, dans la suite, Grégoire VII ne parla de lui qu’avec respect.

Cependant, la chrétienté avait trois papes à la fois, car Benoît IX était toujours reconnu par le parti féodal, et Silvestre III pontifiait dans un château-fort des monts de la Sabine. L’empereur fit déposer et cloîtrer du même coup, par un concile, Grégoire et Silvestre, et nomma un Allemand encore, l’évêque de Bamberg, Clément II. Clément, consacré dans la nuit de Noël 1046, sacra à son tour Henri III, et ce couronnement fut l’une des pompes les plus magnifiques de la Rome médiévale. Le nouveau pape songeait à réformer la discipline, le César germanique couvrait l’Église de son bouclier; la chrétienté se prit à respirer. Mais elle oubliait