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cadeaux et nous sommes repartis ayant hâte de retrouver nos bagages et nos hommes. A huit heures, à la nuit noire, nous étions à Fresco. Nouvelle ovation, très pittoresque celle-là. Les habitans ont allumé des branches de cocotiers trempées dans l’huile, et, à la lueur de ces torches originales, on nous présente au roi Yéré et à une foule de chefs tous plus importans et plus dévoués à la France les uns que les autres. A tous nous faisons un cadeau, et, vers onze heures seulement, nous pouvons nous soustraire à la bruyante et sympathique curiosité de nos hôtes.

Nous logeons ici chez le chef Godo. Le maître est absent, nous l’avons vu à Grand-Lahou, il servait d’interprète pour tous ces délicats renseignemens de l’affaire de Tiassalé. Le chef Godo est un noir intelligent, dévoué à nos intérêts, parlant et comprenant bien le français. Le gouvernement français lui sert une rente de cinquante francs par mois pour reconnaître les services qu’il nous rend. Le chef a toute une famille à Fresco : un père, Goffé ; un frère, Niari, et trois fils, Gras l’aîné, Nouveau-Godo et Petit-Godo. Cette famille est le noyau de l’élément français, assez important déjà à Fresco. Le roi Yéré touche aussi une rente de cinquante francs par mois. Elle lui est servie en échange d’un traité qu’il a passé avec la France le 31 août 1890. Ses convictions, à lui, ne sont ni bien arrêtées ni bien profondes ; il possède deux ou trois pavillons, qu’il arbore suivant la nationalité du bâtiment en vue. Il est très vieux et sans aucune autorité.

La maison de Godo est, comme toutes les cases de la côte, construite le dos à la mer. L’entrée principale est sur la lagune. Par un long corridor en palissade, on parvient à la cour centrale. La palissade est en tige de feuilles de cocotier, ce que les indigènes appellent « bambou. » Cette tige, très droite, d’un bois fibreux, lisse, résistant, donne de très jolies constructions. Pour entrer dans la cour centrale, il faut franchir un seuil très élevé, destiné à empêcher l’invasion des animaux domestiques. Dans la cour même, on trouve des colonnes de bois, grossièrement sculptées, représentant un homme ou un crocodile, ou une figure quelconque ; c’est un fétiche, une chose sacrée, à laquelle il n’est rendu aucun hommage ni culte extérieur. Au fond de la cour un hangar, « le hangar à palabres, » et, suivant la richesse du propriétaire, des chaises très basses ou des bûches pour s’asseoir. Les sièges sont réservés aux chefs, aux visiteurs de marque, le public s’accroupit ; c’est l’usage des noirs, ils restent des heures assis sur leurs mollets. A droite et à gauche du hangar et de la cour sont les bâtimens, formant ailes. Les ouvertures sont toutes sur la cour. A l’intérieur, il n’y a pas de cheminées ; tout le long des murs sont