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aux affaires aucune préméditation de violence et de réaction; il y arrivait simplement, par le jeu libre des institutions, en vrai chef parlementaire. Bien que recherché et estimé à la cour, il n’était ni un courtisan ni un favori; il avait été toujours peu mêlé aux brigues qui se nouaient ou se dénouaient autour de Monsieur. Bien que Mme du Cayla, au dire de M. Sosthènes de La Rochefoucauld, eût préparé son avènement, il n’avait ni l’habitude ni le goût de ces intrigues obscures, de ces agitations intimes dont il avait été surpris et peu flatté quand on lui en avait révélé le secret. Il arrivait de plus avec l’expérience de six années de vie publique qui l’avaient mûri. Il restait ce qu’il était, avec ses qualités et ses défauts, non pas peut-être un homme d’État aux vues supérieures, mais un homme de parlement et d’administration éclairé, patient et habile dans le maniement des intérêts, entrant sans ostentation dans le gouvernement de la Restauration pour mener les affaires le mieux qu’il pourrait.


I.

A dire vrai, l’œuvre n’avait rien de facile dans une situation qui n’était rien moins que simple.

Au moment où M. de Villèle arrivait au pouvoir, tout paraissait au contraire singulièrement compliqué. A l’intérieur, bien qu’il y eût dans la chambre une majorité royaliste toujours croissante sur laquelle le nouveau ministère pouvait compter, l’opinion restait ébranlée par les crises des dernières années. Les libéraux, se sentant battus, ajournés peut-être pour longtemps dans leurs espérances, redoublaient d’irritation dans leur défaite. Les plus impatiens, découragés de la légalité, se réfugiaient dans les complots, jusque dans des conspirations militaires qui éclataient coup sur coup à Belfort, à Saumur, et où se trouvaient compromis, avec quelques officiers obscurs, des hommes comme M. Voyer d’Argenson, M. Manuel, M. de La Fayette, Les libéraux modérés eux-mêmes se hâtaient d’ouvrir les hostilités, et à propos d’une loi sur les journaux que le nouveau cabinet avait recueillie du dernier ministère, qu’il avait même adoucie puisqu’il supprimait la censure, M. Royer-Collard laissait tomber du haut de son dédain ces paroles prophétiques peut-être, au moins prématurées pour le moment : « Le gouvernement en France est maintenant constitué en sens inverse de la société française. » Cela promettait la guerre sans merci. A l’extérieur, on était au lendemain des congrès de Troppau, de Laybach, provoqués par les révolutions de Naples, de Turin, et à la veille du congrès de Vérone, provoqué par la révolution espagnole de 1820. Ces commotions populaires du midi de l’Europe