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courte, qu’un traité pour eux n’est qu’un morceau de papier, sans valeur s’il n’est suivi de relations continues, ils ont perdu le souvenir des traités d’amitié et de commerce ; le papier, à force d’être promené dans le pli d’un pagne, s’est usé et l’oubli s’est fait.

Or, c’était notre but, nous devions, — avec tout le prestige dont nous pourrions nous entourer, — parcourir cette côte d’Ivoire, essayer d’évoquer, à la vue du drapeau tricolore, le souvenir de nos récens rapports commerciaux, faire quelques cadeaux et nous faire beaucoup d’amis.

Le 4 avril donc, toujours avec le vapeur de la maison Verdier et une remorque de quatre grandes pirogues, nous quittions Grand-Lahou, sans autre regret que les jours perdus dans une expectative inutile.

Les habitans nous avaient dit que cette lagune, sur laquelle nous nous embarquions, nous conduirait jusqu’à Petit-Lahou et même jusqu’à Fresco, c’est-à-dire sur les cartes, à environ 80 kilomètres du Lahou.

Le soir, vers cinq heures et demie, nous arrivions au village de Petit-Lahou. La navigation sur cette lagune est très intéressante. Partout, la largeur est supérieure à trois cents mètres et parfois la lagune atteint les dimensions d’une mer intérieure ; on perd de vue les bords, et le vent soulève des vagues assez dures pour inquiéter une flottille de pirogues à la remorque comme l’était la nôtre. Sur les rives, qui s’élèvent jusqu’à une centaine de mètres, en quelques points seulement, la végétation est déjà dense ; les arbres, très droits, très élancés, n’atteignent pas encore les fantastiques élévations de l’intérieur, mais les lianes et les broussailles font la forêt impraticable en dehors des sentiers. Souvent aussi les rives sont basses, sablonneuses, et le palétuvier, l’arbre de mauvais présage qui signale les endroits fiévreux, pousse à foison. Pour en finir avec cette lagune, elle est alimentée par le Lahou d’abord, dont le cours entier se déverse dans cette mer intérieure, à marée haute quand la mer ferme l’estuaire, que la barre est trop dure, par l’Yocoboué, petite rivière peu importante, remontée pour la première fois par MM. Voituret et Papillon, plus récemment encore par M. Arago, et enfin par la rivière Koboa, un simple ruisseau, au dire des noirs. C’est une facile et intéressante voie de communication qui charrie une partie des richesses apportées par le fleuve Lahou aux factoreries anglaises de Petit-Lahou au détriment de nos établissemens français de Grand-Lahou.

Petit-Lahou est un ensemble de deux villages, l’un situé au bord de la mer, l’autre accroché au flanc d’une petite colline sur une île au fond de la lagune. Nous n’avons pas vu le village de la côte.