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être que le sultan ne le désirait. Est-ce à dire qu’Abdul-Hamid ait voulu changer brusquement la direction de la politique ottomane et passer d’un camp à l’autre ? Il est assez vraisemblable qu’il a voulu tout simplement ressaisir son indépendance à demi compromise et se dégager d’une sorte d’inféodation. Il n’en a cependant pas fallu davantage pour réveiller tous les soupçons et mettre le feu à toutes les polémiques, pour qu’à Vienne, à Berlin comme à Londres, on se hâtât de voir dans la révolution ministérielle de Constantinople l’œuvre de la pression franco-russe. Et c’est ainsi qu’on revient sans cesse à une situation plus que jamais peut-être livrée aux contradictions, aux fausses interprétations, aux excitations intéressées qui font à l’Europe une paix précaire.

Le vieux monde n’est pas toujours tranquille ou il ne l’est pas sans de vagues et perpétuelles inquiétudes ; le nouveau monde l’est encore moins, et on pourrait reprendre ce mot d’un écrivain américain qui autrefois, à propos des expositions européennes alors au début, prétendait dans une boutade humoristique que si on faisait une exposition de pronunciamientos, de coups d’état, de dictatures, l’Amérique aurait droit à la première place. L’Amérique du Sud n’a pas perdu ses droits. Les révolutions ne cessent sur un point de l’immense continent hispano-américain que pour recommencer sur un autre point. Le Chili lui-même, qui a si longtemps passé pour la république espagnole modèle, sort à peine d’une longue guerre civile qui a épuisé le pays.

Depuis huit mois, en effet, la lutte était ouverte sur le territoire chilien qui est partout resserré entre les Andes et l’Océan-Pacifique, mais qui s’étend en longueur du Pérou à la Terre de Feu ; elle se déroulait à travers les péripéties et les épisodes étranges sur terre et sur mer, entre deux partis ennemis. Dans un camp était un président, M. Balmaceda, qui se jouait de la constitution et des lois, qui disposait en dictateur des forces et des ressources du pays ; d’un autre côté s’était formé et levé en armes un parti qui s’est appelé le parti « congressiste, » qui ralliait sous son drapeau des hommes du parlement et de toutes les opinions, tous ceux qui voulaient résister à la dictature. M. Balmaceda restait au centre du gouvernement, à Santiago ; l’insurrection avait établi son quartier-général au nord, à Iquique, où elle s’était organisée. Quoiqu’il y ait eu depuis huit mois des rencontres sanglantes et même des batailles navales meurtrières, la lutte aurait pu se prolonger indéfiniment entre des adversaires séparés par de vastes espaces, lorsque l’insurrection s’est décidée récemment à aller chercher son ennemi autour de Valparaiso, où M. Balmaceda paraissait se concentrer avec ses forces. L’armée congressiste a débarqué, en effet, sous les ordres du général del Canto auprès de Valparaiso, et il n’a fallu rien moins que cinq ou six jours de batailles pour décider la victoire en faveur de l’insurrection. La défaite de l’armée pré-