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statue, comme Carnot dont on est allé chercher les restes à Magdebourg, comme Lassalle, le vaillant cavalier de l’empire, dont on va demander la dépouille à la Bavière ; rien de mieux, c’est un bon signe. La France a certes d’assez belles traditions militaires pour trouver tous les exemples dans sa propre histoire. Depuis quelque temps, déjà, il y a un travail utile, réconfortant, pour faire revivre ces figures de grands soldats d’autrefois. M. le général Thoumas a consacré une série d’études curieuses, instructives, au maréchal Lannes, foudroyé dans l’éclat de sa fortune ; à l’habile artilleur Sénarmont, tué devant Cadix ; au jeune Lacoste, mort devant Saragosse ; à bien d’autres plus obscurs et aussi héroïques. Le général Marbot s’est récemment remis lui-même dans toutes les mémoires par les souvenirs qu’il a laissés, par tous ces récits d’une vivacité si entraînante. Ce sont les soldats de la grande époque qui comptaient leurs étapes à travers l’Europe par leurs actions héroïques et par leurs blessures, quand la mort devant l’ennemi n’interrompait pas brusquement leur carrière. Et, sans remonter si loin, M. le comte d’Antioche vient de retracer, avec autant de zèle que d’intérêt, l’histoire d’un éminent soldat d’une autre génération, de Changarnier, le héros de la retraite de Constantine, un des premiers dans cette élite de jeunes capitaines qui ont assuré un empire à la France dans la Méditerranée et se sont appelés les « Africains. » Ils ont eu leur jour, ces brillans Africains, prodigues de leur activité et de leur courage, parmi lesquels le général Changarnier s’est illustré, et dont les derniers héritiers sont encore aujourd’hui les Mac-Mahon, les Canrobert. Ils ont disparu à leur tour, emportés dans le tourbillon des événemens. Ils restent dans l’histoire, tous ces hommes, depuis le maréchal Bugeaud jusqu’au général Chanzy, avec la variété de leurs physionomies et l’honneur de leurs services, avec leur bel entrain militaire et l’éclat d’une carrière prématurément interrompue pour quelques-uns d’entre eux, assombrie par une fortune ingrate.

Quinze années durant, Changarnier a été entre tous un des héros de cette guerre d’Afrique, où il avait débuté comme simple capitaine et d’où il sortait avec les étoiles de divisionnaire qu’il avait conquises en déployant les dons les plus rares du chef militaire. Il n’était encore qu’un inconnu lorsque, laissé à l’arrière-garde d’une armée en détresse, démoralisée par la misère, décimée par les rigueurs de la saison, enveloppée de nuées d’Arabes, il suffisait avec son bataillon et une indomptable fermeté pour couvrir cette première retraite de Constantine qui rappelait la retraite de Russie. Il avait fait face à tout avec une poignée d’hommes, et depuis ce jour il s’était pour ainsi dire classé dans l’armée. Il ne cessait de grandir pendant six ans de campagnes, toujours prêt aux entreprises hardies et toujours vigilant, alliant le calcul à la résolution, conduisant les affaires dont il était chargé avec l’imperturbable assurance de l’homme fait pour tous les commande-